"Le baiser du rasoir" est un roman de Daniel Polansky, le premier volume d’une série nommée « Basse-Fosse », du nom du quartier de la capitale de fantasy dans laquelle se déroule l’action.
A Basse-Fosse, le quartier le plus misérable de Rigus, des enfants sont violentés et assassinés. Prévôt, un ancien membre de la police secrète tombé en disgrâce, renvoyé, et devenu trafiquant de drogue, se passionne pour ces crimes qui ensanglantent son « secteur », et commence de fait à enquêter pour mettre à jour leurs instigateurs et les neutraliser.
Enquête policière hard-boiled transposée dans un monde de fantasy, "Le baiser du rasoir" est un roman rapide et finalement assez agréable à lire. Le rythme est rapide, avec de nombreux chapitres très courts, et le récit progresse de manière régulière vers une résolution qui répond de manière satisfaisante aux questions qui étaient posées (à un détail près dont je parlerai plus tard). Le héros fait preuve d’un cynisme, certes parfois excessif, qu’il exprime sans cesse dans des tournures complexes et longuement développées qui ne sont pas sans rappeler les soliloques ou les dialogues croustillants de Nestor Burma (joli travail pour un auteur américain qui n’a certainement jamais lu Léo Malet). L’expression du personnage est pour une bonne part dans le plaisir de lecture.
Et pourtant "Le baiser du rasoir" n’est pas un bon roman, en tout cas pas un que je conseillerais. D’une part, la transformation du flic à la dérive devenu détective privé (figure incontournable du hard-boiled) en trafiquant de drogue n’apporte pas grand chose au récit, à part peut-être d’exciter quelques lecteurs qui trouveront que c’est délicieusement marginal ou décadent. Les ressorts (anciens contacts dans la police, informateurs dans le monde de la rue, femme fatale et inquiétante) restent les mêmes, les mécanismes narratifs aussi ; nihil novi sub sole trafiquant de drogue ou pas. D’autre part, l’enquête (dont on ne comprend guère pourquoi Prévôt s’y engage, d’autant qu’elle le met en porte à faux) progresse parfois par à-coups heureux et se trouve nantie d’un twist final pataud qui sent franchement l’exercice obligé. Enfin (et c’est le pire), ce roman est, comme beaucoup d’autres aujourd’hui et dans le regrettable sillon qu’Harry Potter a commencé à creuser, un texte pour feignants de l’imaginaire. A rester trop près de notre monde, à transposer celui-ci dans un lieu peuplé de mages et de guerriers tout en en conservant les traits essentiels, on satisfait sûrement des lecteurs peu à même ou peu désireux de quitter le confort intellectuel de la connaissance préalable, mais on n’apporte rien en terme de merveilleux ou de questionnement. Dans "Le baiser du rasoir", il y a donc eu une guerre de tranchées dont le héros est un vétéran, on mange ses œufs au petit-déjeuner, on boit du whisky en fumant des joints, on discute d’une marque de whisky qui s’appellera Ballantine, on donne de l’attaraxium, on autopsie par magie divinatoire des cadavres dans une sorte d’IML. La ville elle-même est peu décrite, mais on y trouve des étrangers qui sont, comme par hasard, de type asiatique pour les uns (avec une mafia qui n’a guère à envier à l’imagerie des triades) et africains (dont le seul exemplaire décrit est un musicien gros fumeur de joints) pour les autres. Comment faire du vieux avec du neuf.
Le baiser du rasoir, Daniel Polansky
Commentaires