Christophe Carpentier, premier Prix Jacques Sadoul

Oyez ! Oyez ! Belles gens ! Sachez qu'hier a été annoncé le nom du premier lauréat du Prix Jacques Sadoul. Il s'agit de Christophe Carpentier, pour la nouvelle Un écho magistral , écrite à partir de la phrase-thème :  « Je vais au café pour lire le journal d’avant-hier »  sur le thème tiré au sort : SF. Les belles personnes immortalisées ci-dessus constituent le jury du prix (qui a visiblement bien mangé et bien bu)  : Sixtine Audebert, Philippe Béranger, Morgane Caussarieu, Jean-Pierre Dionnet, Marion Mazauric, Nicolas Rey, Jean-Luc Rivera, Christophe Siébert, Jérôme Vincent, Philippe Ward et Joëlle Wintrebert. Le trophée sera remis à l'heureux élu aux Imaginales 2025 et il sera publié dans le recueil dédié.

Who fears death ? Not Nnedi Okorafor



Nnedi Okorafor est professeur d'écriture créative à l'Université de Chicago. Elle est l'auteur de plusieurs romans, certains "jeunesse", et plusieurs nominés ou primés. Elle a reçu en octobre 2011 le World Fantasy Award pour Who fears death, son grand roman de fantasy innovante, rejoignant ainsi des personens aussi prestigieuses que Miéville, Murakami, Wolfe, Le Guin, Vance, et j'en passe. Elle a gentiment accepté de glisser le questionnaire de Quoi de Neuf dans un agenda surchargé.

1) Bonjour Nnedi. Peux-tu te présenter pour les lecteurs français qui ne te connaîtraient pas encore ?

Salutations, Je m’appelle Nnedi Okorafor, sorcière et savant fou littéraire.

2) « Who fears death » a récemment gagné le World Fantasy Award. Je peux imaginer que tu es très heureuse (je suis content pour toi et je pense vraiment que tu mérites ce prix), mais peux-tu nous dire ce que ça signifie pour toi comme auteur, comme femme, comme femme afro-américaine écrivant sur l’Afrique ?

Je préfère être définie comme « Nigerian American », parce que je suis la fille d’immigrants nigérians qui vinrent dans ce pays en 1969. Je n’ai pas d’autre histoire familiale (connue) aux USA à part ce que ma famille et moi avons créé à partir de 69. Que signifie le prix pour moi ? Je suis la première personne d’origine africaine à l’obtenir et j’admets que ça m’a laissé pensive. J’ai été plutôt surprise par cet événement. Mais bien sûr j’ai été enchantée et profondément honorée d’avoir gagné ce prix. De tous les prix qui existent dans le genre, celui-ci me semble le plus approprié. J’aime penser que j’ai contribué à ouvrir plus grand la porte. J’aime aussi penser que j’ai fais savoir à plus de personnes de couleur qu’elles peuvent gagner ce prix ET qu’elles peuvent écrire de la SF/Fantasy qui parle d’elles, de ce qu’elles sont, et que les gens apprécieront. J’aime penser que j’ai compliqué les choses…dans le bon sens.

3) « Who fears death » est un nouveau genre de fantasy, de la fantasy africaine, très innovante et en même temps classique dans sa structure. Quels auteurs aimes-tu dans le genre ? Certains d’entre eux ont-ils influencé ton écriture ?

« Who fears death » est un roman qui puise autant dans la structure classique du voyage du héros que dans la tradition africaine du conte oral. Il reflète bien mon background culturel, moi qui suis américaine et nigériane. C’est une chose que je n’ai réalisée qu’après avoir écrit le roman. Les auteurs que j’aime bien dans le genre sont, entre autres, Stephen King, Octavia Butler, Nalo Hopkinson, Jonathan Stroud, Hayao Miyazaki, Ngugi wa Thiong’o, Salman Rushdie… « dans le genre », c’est toujours une phrase piégeuse. Qu’est ce que le « genre » en réalité ?

4) Les femmes semblent être les personnages forts dans ton roman. Est-ce la même chose en Afrique ? En même temps, de nombreux hommes du livre sont mauvais, ou au moins brusque. Dirais-tu que l’amour des hommes pour la guerre est le problème principal dans les pays en développement ?

Je pense que les hommes dans « Who fears death » sont forts aussi. Beaucoup d’entre eux sont profondément traditionnels, en effet, et pourtant, ils sont capables de voir au-delà, ils sont quand même capables de VOIR la vérité. Je peux nommer à la volée six « BONS » personnages masculins complexes et intéressants. Et il y en a d’autres. Je peux aussi citer des exemples de « mauvaises » femmes dans le roman. Regarde la scène où Onyesonwu arrive enfant. Qui est présent ? Qui fait quoi ? Il y a pléthore de personnages dans le livre. Ce n’est pas un roman dans lequel tu peux dire facilement « ceci est bien » et « ceci est mal ». Même avec les personnages principaux. Il y a d’ailleurs une discussion à ce sujet dans le livre. Je ne crois pas que le bien et le mal soient des réalités séparées. Chacun est une partie de l’autre – tu ne peux pas avoir l’un sans l’autre. Dans « Who fears death », certaines personnes sont prisonnières de leur culture, certaines se rebellent et réussissent ou échouent, même l’héroïne de l’histoire. Elles sont humaines. Et les humains portent en eux à la fois le bien et le mal – chaque être humain porte les deux. J’ai grandi près d’un père très fort, et j’ai un jeune frère très fort aussi dont je suis très proche. J’ai autant d’amis hommes que d’amis femmes. Il m’est facile de trouver des exemples d’hommes forts. J’aime penser que c’est reflété dans les histoires que j’écris. Je pense que les femmes africaines sont fortes et très résilientes. Mais je parle ici de manière très générale. L’Afrique est un lieu très grand et divers, et les femmes y sont diverses aussi. Mais culturellement, je pense que, globalement, les femmes africaines sont loyales, ont une résistance incroyable, et savent comment survivre et construire. Et pourtant elle reçoivent très peu de reconnaissance ou de récompense pour tout ce qu’elles font. Voilà quelque chose qui doit changer.

5) Ton roman explore les conséquences des purifications ethniques et des guerres d’extermination. Peux-tu nous dire quelles en sont les causes, à ton avis ?

Les sujets montrés et traités dans le roman NE SONT PAS la raison pour laquelle je l’ai écrit. Le roman a démarré avec ce personnage, Onyesonwu, qui me parlait. Elle voulait que je raconte son histoire. J’ai écouté ce qu’elle m’a dit, puis je l’ai écrit. Onyesonwu vit dans le « monde réel », il lui arrive donc des choses « réelles ». Ces choses « réelles » faisaient partie de l’histoire d’une manière organique. Je n’avais pas d’agenda quand j’ai écrit « Who fears death », sauf si tu considères comme tel la volonté d’écrire une histoire assez bonne et rythmée pour retenir ma propre attention. Ceci dit, quand je regarde le roman fini, je me rends compte que son histoire aborde de nombreux sujets. Le génocide (appelons-le par son nom) est quelque chose qui peut arriver n’importe où, à n’importe quel groupe de gens. Les Américains regardent ce qui se passe au Rwanda ou au Soudan, et ils hochent la tête avec pitié. Beaucoup ont oublié que c’est arrivé aux Etats-Unis aussi. Le génocide est intriqué dans la fondation même des Etats-Unis. Classification, symbolisation, déshumanisation, organisation, polarisation, préparation, extermination, et déni – ce sont les huit mêmes étapes à chaque fois. Nous devons tous être vigilants.

6) Tu connais le concept « d’empowerment ». L’histoire d’Onyesonwu est-elle une métaphore de ce concept ?

Je n’aime pas parler de mes personnages ou de leur histoire comme de simples métaphores. Je laisse ça aux critiques. Pour moi, Onyesonwu est une personne vivante qui fait ce qu’elle fait.

7) L’inégalité sexuelle occupe une place importante de ton roman. Dirais-tu que c’est l’un des problèmes importants auquel l’Afrique devra se confronter ?

L’inégalité de sexe et de genre est un problème mondial. Je pense que chaque continent doit le résoudre. Quand ca sera fait, le monde sera un meilleur endroit.

8) La société que tu décris est au milieu d’un gué, entre tradition et modernité. Comment ces deux pulsions peuvent-elles coexister dans une société réelle, devenant ainsi une force, plutôt que d’entrer en conflit en engendrant de la faiblesse ?

Ca se passe en ce moment en Afrique, c’est de là que j’ai tiré l’idée. Et c’est une force. Quand je rends visite à ma famille au Nigéria, je vois ce mélange du jeune et du vieux, de l’ancien et du moderne. Or, quand je lis des romans SFFF, je ne vois jamais personne écrire sur CETTE Afrique. Il y a un exemple que j’utilise toujours : on voit des femmes qui vont à la rivière avec des containers sur la tête pour aller chercher l’eau de la journée. Belle image africaine traditionnelle, pas vrai ? Mais, tout en marchant, les femmes envoient des textos à leurs amis depuis leurs téléphones cellulaires ! Le background futuriste de « Who fears death » a été facile à imaginer parce que la première version de celui-ci existe déjà.

Je remercie vivement Nnedi pour sa gentillesse, et signale que "Who fears death" sortira en France, dans l'année, chez Eclipses.

Commentaires

Cedric Jeanneret a dit…
Interview très intéressante, je regrette juste qu'elle ne soit centrée que sur "Who fears death".

Si je peux me permettre, Nnedi Okronafor a un site Internet (http://www.nnedi.com/index.html) où se trouve liste différentes nouvelles disponibles en ligne (http://www.nnedi.com/onlinestories.html). Je n'ai lu que "Spider the artist" qui est bien sympa.
Gromovar a dit…
Tu as raison, j'ai oublié de linker son site. Je corrige tout de suite.
Gromovar a dit…
Pour ta première remarque, je n'ia lu que "Who fears death" pour le moment.
Cedric Jeanneret a dit…
je me doutais bien que c'était la raison, et puis bon c'est celui-ci qui sort en français.

Et j'ajouterai que si je ne suis pas content j'avais qu'à le faire ne premier cette interview... ;)
Munin a dit…
En tous cas, merci de l'interview et de mettre en lumière cet auteur et son travail.
Tigger Lilly a dit…
Très intéressant. Et je suis bien contente que ce livre sera édité en français.
Gromovar a dit…
Bientôt, bientôt.
Efelle a dit…
Plus d'excuses pour ne pas le lire dès la sortie de sa traduction.
Sympa l'interview! J'attends mon livre commandé maintenant.
Gromovar a dit…
Tu devrais aimer.