Henry Lion Oldie est un auteur ukrainien bicéphale. Auteur de cinq nouvelles publiées en français, et de plusieurs romans traduits, dont la fantasy en deux volumes,
La loi des mages (un volume déjà sorti, le second sortira en février chez Mnémos), Oldie fait patiemment son trou dans l'imaginaire français. Il a gentiment, et avec la complicité de
Viktoriya et Patrice Lajoye sans qui cette interview n'aurait pas existé (ne serait-ce que pour des questions de traduction), accepté de répondre à quelques questions pour Quoi de Neuf...
C'est l'occasion de découvrir un auteur encore assez peu connu du grand public français et qui, pourtant, gagne à l'être (on notera le bien beau patronyme du premier des deux membres de Oldie).
Bonjour Henry, merci de nous recevoir,
pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs français qui ne vous connaissent
pas ?
Nous sommes Dmitri Evguenievitch Gromov et
Oleg Semenovitch Ladyjenski. Dmitri est né le 30 mars 1963 à Simferopol en
Crimée (Ukraine). Depuis 1974 il vit à Kharkov (Ukraine). Il est
ingénieur-chimiste de formation. L'un de ses hobbies est le hard rock, et plus
spécialement le groupe Deep Purple au sujet de l'oeuvre duquel il a écrit une
monographie. Il est ceinture marron de karaté (école GODZu-ru). Il fut un temps
acteur au théâtre-studio « Pélican », où il a joué une dizaine de
rôles dont une moitié sont des rôles principaux.
Oleg est né le 23 mars 1963 à Kharkov. Il est
metteur en scène de formation et a travaillé sur plus de 10 spectacles et a
même été lauréat du 2e festival national des groupes de théâtre en 1987. Il est
ceinture noire de karaté et enseigne les arts martiaux. Il est passionné de
jazz et de musique classique.
Vous êtes de ces auteurs qui écrivent à
quatre mains. En quoi est-ce difficile, ou pas, et comment
travaillez-vous ?
D'abord une idée naît. Pas chez les deux à la
fois, bien sûr, mais en l'un de nous. Nous y réfléchissons pendant un
certain temps, et quand elle prend forme, que l'on peut l'exprimer à l'aide de
mot, alors celui qui a eu cette idée vient chez son co-auteur et l'exprime.
Ensuite une longue conversation commence. L'idée se développe, on élimine des
versions secondaires, on modifie des choses, les germes d'un sujet
apparaissent... Nous discutons beaucoup, mais chaque fois, nous pouvons prendre
assez vite une décision qui convient aux deux. Chacun de nous, à son tour, joue
le rôle de générateur d'idées puis de sceptique, et cela se passe d'une façon
assez spontanée. Une discussion peut durer plusieurs mois.
Ensuite, quand les conceptions fantastiques,
philosophiques et morales ont été élaborées, le sujet devient de plus en plus
clair, nous déterminons les personnages principaux et une partie des
personnages secondaires, nous commençons un chapitre du futur texte. Nous nous
partageons ce que nous allons écrire : « Je veux écrire ce
chapitre ! Et moi celui-ci ! » Tout est foncièrement de bon gré.
Nous ne nous « arrachons » pas des chapitres l'un à l'autre et nous
ne refusons pas de faire quelque chose. Jamais. Si les personnages narrateurs
sont différents, alors il arrive que l'un de nous prenne un (ou deux) de ces
personnages et écrive sa (leur) voix. Cela faisant, certains traits personnels
de la langue de l'auteur se transmettent à son héros, et puisque nous sommes
deux personnes bien différentes, alors nos personnages sont aussi différents.
Lorsque nous achevons des fragments, nous
nous les échangeons ; chacun de nous lit ce que l'autre a écrit, nous
corrigeons les fautes, les coquilles, le style ; nous réunissons nos
fragments, puis chacun de nous prend un autre épisode en charge et nous
continuons à écrire. Quand un grand passage est fini (une partie, un livre d'un
roman), nous faisons une pause, nous imprimons ce passage et nous le lisons
encore une fois pour y déceler les erreurs encore non remarquées. En même
temps, nous discutons en détail du passage suivant. Et nous nous mettons à
écrire à nouveau.
Quand un roman est fini, nous y apportons
d'ultimes corrections, nous l'imprimons et le relisons. Nous le corrigeons à
nouveau, le réduisons, le révisons. D'ailleurs, quand nous écrivons un roman,
nous avons déjà en tête des idées à moitié formées pour une deux ou trois
autres oeuvres. Toutes ces idées n'auront pas de suite, mais queque chose en
sortira plus tard, malgré tout.
Quels sont
les auteurs occidentaux que vous aimez lire et que pourriez-vous nous
conseiller dans la littérature russe de l'imaginaire ?
Pour ce qui
concerne le fantastique occidental, nous aimons et estimons Ray Bradbury, Frank
Herbert, Robert Sheckley, J. R.R. Tolkien, Clifford Simak, Roger Zelazny, Dan
Simmons, Neil Gaiman, China Mieville, Robert R. McCammon, Robert Merle, et bien
d'autres.
Pour le
fantastique russe, nous pouvons conseiller les oeuvres d'Andreï Valentinov, de
Marina et Sergueï Diatchenko, de Evgueni Loukine, de Vadim Panov, de Sviatoslav
Loguinov et de Dalia Trouskinovskaya.
Nous allons
commencer par quelques questions sur votre roman "La Loi des
mages", dont le tome 1 a été récemment publié en France.
Le contexte de "La Loi des mages" évoque une Russie alternative du début du XXe
siècle. Pourquoi être restée proche de la réalité, ne pas avoir créé un univers
complètement imaginaire ?
Nous
travaillons assez souvent dans un décor historique réel, en changeant seulement
quelques détails. Pour nous, l'histoire réelle est plus riche et diverses que
ce que l'on peut imaginer pour un monde virtuel. En outre, à notre avis, il
n'existe pas d'univers totalement inventé. D'une façon ou d'une autre, ils se
forment sur la base de notre réalité, remaniée par la fantaisie de l'auteur. Il
existe un aphorisme : « aucune mythologie européenne n'a pu inventer
le kangourou ».
Pourriez-vous
décrire pour nous le monde dans lequel se place "La Loi des
mages" ? Quel est le contexte international ? Quelle est la place
de la Russie dans ce contexte ?
Si vous avez
envie de comprendre le monde du roman, il est en fait plus facile de prendre un
manuel d'histoire et de regarder ce qu'il en était pour l'Europe de la toute
fin du XIXe siècle et du début du XXe, avant la Première Guerre mondiale.
Nous avons
suivi ce canevas des événements. Sauf bien sûr pour ce qui concerne les
mages-bagnards, qui n'existaient pas dans la Russie réelle. De même nous avons
modifié certains noms de famille, mais tout le reste, le contexte
international, la position de la Russie au niveau mondial, correspond à la
réalité.
Vos mages
semblent structurés comme une mafia. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur
organisation ?
Dans notre
roman, les mages-criminels sont organisés presque de la même manière que le
monde criminel l'était en Russie à cette époque-là. Mais cette organisation
différait un peu de celle des « familles » de la mafia italienne
d'alors, et d'autant plus de celle de la mafia actuelle. Le monde criminel russe
du début du XXe siècle n'avait pas encore de structures hiérarchiques aussi
forte et développées que celles de la mafia italienne. Mais en gros, son
organisation ressemblait à peu près à celle de n'importe quelle autre mafia.
Il y a de
simples exécutants qui se spécialisent dans différents types de crimes :
vol, pillage, fraude, etc. Il y a les leaders de bandes ou de simples cliques.
Il a les parrains, dont l'opinion fait loi pour tous. Il y aussi une lutte
permanente pour les zones d'influence.
Dans notre
roman, il y a une différence importante : l'État considère la magie comme
quelque chose de criminel, et les gens qui possèdent ce don sont évincés par la
société, relégués dans le monde du crime.
Le système
qui vise à réprimer les mages ressemble-t-il à des systèmes réels ou ayant
existé?
Ce système
de répression ressemble aux mesures mises en place en Russie au début du XXe
siècle, destinées aux criminels ordinaires ainsi qu'aux prisonniers politiques.
D'ailleurs en France aussi, en ce temps-là, à en juger par la littérature
française classique, tout se faisait à peu près de la même manière :
gendarmes, travaux forcés...
Dans La Loi des
mages, les différences ethniques, notamment en ce qui concerne les Roms,
semblent signifiantes. Est-ce le cas, et à quel niveau, dans la Russie et
l'Ukraine moderne ?
Malgré le
fait que beaucoup de Tziganes soient devenus sédentaires, en général, et encore
de nos jours, ils se tiennent toujours à l'écart du reste de la population.
Et était-ce
le cas dans la Russie historique ?
Oui, et bien
plus que maintenant. Cette partie de notre roman est assez réaliste.
Dans vos
textes, les rapports humains sont toujours rudes, parfois à la limite de
l'agressivité. Le langage est cru, les gestes bourrus. Est-ce une spécificité de
la culture ou de la littérature russe ?
Bien de
personnages des romans de Victor Hugo –
Les Misérables ou
Notre-Dame
de Paris par exemple – sont aussi agressifs. Pouvons-nous conclure à ce
titre que la rudesse est une particularité de la culture française ?
Certainement pas. Dans notre livre, il y a beaucoup de personnages dont le
destin est le bagne, la persécution, la pauvreté, la perte. Il est tout à fait
naturel que dans des situations difficiles – qui sont bien nombreuses dans le
roman ! –, ils ne parlent pas poliment. Ce sont les singularité des
biographies, et par voie de conséquence les singularité des caractères de
certains personnages, pas plus.
Les
personnages parlent souvent en utilisant de longues phrases ou des périphrases.
J'ai eu le sentiment qu'on pourrait toujours s'exprimer de manière plus concise
que ce que font les personnages, qu'ils sont toujours beaucoup dans l'emphase.
Diriez-vous que la société russe est une société de la parole ?
Tout le
monde aime parler. Les personnes françaises que nous connaissons sont bien
éloquentes lorsqu'elles discutent avec nous. Par contre, sur internet où l'on
« parle » avec les doigts, on utilise d'ordinaire des phrases
courtes, parfois non achevées. Mais dans la vie, il suffit de montrer à
quelqu'un que tu es prêt à l'écouter pour qu'ensuite il soit difficile de
l'arrêter...
Les tenants
de l'autorité que vous décrivez sont souvent corrompus ou indolents. Est-ce
l'image que vous avez des institutions ? Correspond-elle à une réalité
observable ?
C'est notre
expérience personnelle, celle que nous avons eu en communiquant avec certains
pouvoirs ; c'est aussi une expérience puisée dans des livres où il est
question des temps passés. Oui, nous voudrions bien connaître un pouvoir sagace
et juste... nous sommes des écrivains de fantastique, quand même...
Je voudrais
parler maintenant des 2 nouvelles post-apocalyptiques qui ont été traduites en
français, "Nevermore" d'une part, et "Viens me voir dans ma solitude" d'autre part.
D'abord,
pourquoi écrire du post-apocalyptique après la fin de la Guerre Froide ?
Un texte
aussi court (et par ailleurs brillamment écrit), que "Nevermore" peut-il être écrit à quatre mains ? Comment l’a-t-il été ?
Merci pour
votre opinion sur Nevermore.
Quinze
années séparent ces deux récits. Nevermore a été écrit en 1991 ; Viens
me voir dans ma solitude en 2006. Tous deux ont été écrit en collaboration
et la brièveté du texte n'a rien changé. C'est aussi un aphorisme connu :
« la taille n'a pas d'importance ». Un violoniste et un pianiste peuvent
jouer ensemble et sans problème un court morceau de musique et une sonate de
trois heures. Pour ce qui concerne l'Apocalypse et la vie après la fin du
monde, ce sujet ne peut pas ne pas émouvoir les écrivains, quand l'humanité vit
sur une pyramide de bombe thermonucléaires. Par contre la Guerre Froide et sa
fin n'ont aucun rapport avec ces deux paraboles sur la vie et la mort.
Dans Viens me
voir dans ma solitude, il n'y a qu'un homme et qu'une femme, qui se séparent
sans chercher à faire descendance ; dans Nevermore, il n'y a aucun
être humain. L'extinction de la race humaine vous paraît-elle inévitable, voire
souhaitable comme le djinn de Nevermore semble l'inférer ?
L'homme et
la femme du récit Viens me voir dans ma solitude sont Charon, nocher des
Enfers dans la mythologie grecque, et la Mort, telle qu'elle est dans les
légendes européennes. Hélas, dans ce récit, l'humanité a disparu, et il ne
reste plus que eux deux. Mais voilà ce que pense Charon : « Elle
n’avait pu partir bien loin : s’il se dépêchait, il aurait le temps de
l’atteindre. [...] Il était impossible que deux personnes ne se rencontrent pas
là où il ne restait plus personne en dehors d’elles, Adam et Ève d’un nouveau
monde. Et elle n’était pas encore vieille. » Nous voudrions dire que même
s'il ne reste que la Mort, un espoir de rencontre, d'amour et de renaissance
subsistera.
Donc nous
croyons en l'humanité et nous lui souhaitons sincèrement une très longue vie.
D'ailleurs,
dans Nevermore, le djinn ne voulait pas la mort de l'humanité, mais a
été obligé d'accomplir le désir du corbeau qui l'a libéré de la bouteille.
Les textes
post-apocalyptique décrivent souvent une lutte pour la survie. Pas les vôtres.
Que faites-vous de l'instinct de survie ? Pensez-vous qu’il vaudrait mieux que l’humanité
s’en débarrasse ?
Cette lutte
existe, dira-t-on, en off. Si le lecteur proteste contre une telle
triste fin, s'il s'indigne du fait que le destin est si sévère envers la race
humaine, alors cette lutte devient primordiale. Elle se passe dans le coeur, la
raison et l'âme du lecteur, et non sur les pages du livre.
Et
l'instinct de survie est une des principales garanties de ce que nos enfants et
petits-enfants vivront. L'humanité a besoin de cet instinct. Il ne faut en
aucun cas le nier !
Dans Relève-toi,
Lazar, on peut gager des sentiments. Qu'avez-vous voulu dire dans ce texte
(auquel je n’ai pas compris grand chose) ?
Nous ne savons pas exposer brièvement les idées contenues dans notre
oeuvre. Sinon, à quoi cela nous servirait-il d'écrire des récits, des nouvelles
et des romans? L'idée est dissoute dans le texte, et l'extraire est l'affaire
du lecteur. De notre part, nous ne pouvons qu'ajouter que les sentiments ne
sont pas une marchandise. On ne peut pas les mettre en gage, on ne peut pas les
vendre ni les acheter, et on ne peut pas les tuer non plus. C'est probablement
de cela dont le récit parle. Mais il nous semble qu'il contient encore autre
chose...
Pour terminer je voudrais
vous poser trois questions plus générales.
Quelle est la place de la
nature, et singulièrement de la forêt, dans votre œuvre ?
La même place que dans le monde. Une
grande place, mais qui malheureusement, diminue.
Les rapports
hommes-femmes que vous décrivez dans vos textes semblent complexes, dans des
mécanismes d'attirance/répulsion et ou de séduction/violence. Est-ce l'état des
relations entre les sexes en Russie aujourd'hui ? Ou l’était-ce dans le passé ?
A notre
avis, les relations entre les femmes et les hommes sont beaucoup plus complexes
que le schéma que vous proposez, « séduction/violence », etc. Cela
concerne la vie réelle, dans n'importe quel pays du monde, aussi bien que nos
livres. Si un jour les relations entre les hommes et les femmes devaient se
simplifier, l'humanité disparaîtrait plus vite que du fait d'une bombe
atomique.
Dernière
question indispensable : les Russes boivent-ils vraiment autant que dans vos
textes ?
Il nous est
difficile de parler pour tous les Russes. Les généralisations de ce genre sont
toujours douteuses. Nous dirons simplement que nous n'avons rien contre le fait
de boire un petit verre ou deux. Mais dans les limites du raisonnable.
D'ailleurs,
lorsque nous étions en visite en France, on nous a raconté une blague qui nous
semble bien à propos :
« À
Paris, dans un café, un jeune homme commande une bouteille de vin rouge, puis
une autre, puis une troisième... Un monsieur plus âgé, assis à une table
voisine, détache son regard du journal qu'il est en train de lire, et
dit :
– Excusez-moi,
monsieur, mais il ne faut pas boire autant. Savez-vous que selon les
statistiques, un Français sur quatre est alcoolique ?
Le jeune
homme remplit à nouveau son verre de vin et répond :
– Cela ne me
concerne pas. Je suis Russe ! »
Je vous
remercie du temps que vous avez consacré à répondre à ces quelques questions.
Et je remercie encore les Lajoye pour leur rôle indispensable de
fixers.
Commentaires
Merci
Je suis Cristian Tamas de la Société Roumaine de Science- Fiction et Fantasy et je vous pris, s'il vous plait, me donner la permission de traduire et de publier sur le site non-profit de la société (www.srsff.ro/), l'entretien avec Henry Lion Oldie. Nous allons mentioner votre consentement, que vous êtes l'auteur et nous allons insérer un lien vers l'article original.
Je vous remercis.
Cordialement,
Cristian Tamas
www.srsff.ro/
Je vous ai déjà répondu sur votre mail perso. Je confirme de nouveau que je vous autorise à traduire et à publier l'interview des Oldie.
Cordialement
Cordialement,
Cristian Tamas
www.srsff.ro/