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Chien du Heaume", Grand Prix de l'Imaginaire 2010 aux Imaginales, est un anti roman de fantasy, écrit par une jeune femme qui pratique la forge et l'équitation. Attirance / répulsion pour ce style ?
De fantasy d’abord, il n’est guère question. Peu de magie, un merveilleux plutôt étrange, onirique, jamais clairement détaillé. "
Chien du Heaume" pourrait devenir, sans y changer grand chose, un roman historique pur, un roman de chair et de sang, sans la moindre once de mana.
Justine Niogret prend ensuite les codes sexuels (sexistes ?) de la
fantasy et les retourne ( ! ) allègrement. Chien du Heaume est une femme, mais pas une prostituée ou une princesse à sauver (ce qui, honnêtement, revient un peu au même). Elle est une mercenaire, compétente et brutale, maniant la hache là où tant de héros de fantasy s’illustrent à l’épée. Non contente d’être une combattante, elle n’est même pas belle comme
Red Sonja, ni séductrice comme
Althéa Vestritt, ni merveilleuse comme
Galadriel. Elle est plutôt laide, grassouillette, sans charme ni grâce. Elle n’a pas de sexualité (visible en tout cas), et n’exprime aucun désir fort sur ce plan. Elle ne veut pas d’enfants.
Chien du Heaume ressemble au Conan de Jonh Milius. Taiseuse, rude, dure, brute de fonderie, elle choisit ses rares amis avec grande parcimonie et s’accroche à sa hache comme Conan à son épée, cherchant l’origine de l’arme comme le cimmérien cherchait deux serpents face à face mais ne faisant qu’un. Comme lui Chien du Heaume peut inspirer l’admiration mais sûrement pas l’amour. Elle n’est pas de ceux sur qui on écrit des chansons.
Chien du Heaume n’est pas non plus une héroïne ou une figure chevaleresque. Elle sacrifie une petite fille pour sauver sa vie. Elle n’éprouve que mépris pour les paysans. Sa quête ne concerne qu’elle ; elle recherche son nom véritable. Elle n’aide jamais la veuve et l’orphelin, et laisse même massacrer un village entier sans intervenir. Certes, elle aide son ami le chevalier Sanglier, mais il n’y a rien d’héroïque à aider un ami. C’est un devoir naturel. Et puis des batailles, il n’y en a pas. Ou si peu. On se souvient des batailles passées plus souvent qu’on en vit de nouvelles. Ce temps est derrière. La nostalgie pèse (surtout sur Sanglier) mais l’inertie est trop forte. Quitter le confort, même décrépit, du castel pour partir dans un océan de gloire, il ne le peut pas. Son ost non plus. Les deux seules pertes enregistrées dans cette troupe seront dues à un guerrier surnaturel et à une traitrise pendant un combat pour rire. Les vieux guerriers sont pitoyables. Ils auraient du mourir au combat, les lits ne sont pas pour eux, ils y pourrissent.
Le monde de Chien du Heaume est crépusculaire. Le temps de la guerre et de l’héroïsme à la Conan a été ; il est révolu. Les chevauchées sont rares, d’ailleurs Chien du Heaume n’aime pas les chevaux. Les belles et jeunes dames ne trouvent pas de champion, et s’en vengent par traitrise. Les villes fleurissent et prospèrent, remplies de miséreux attirés par leur lustre comme des phalènes par le feu, d’artisans regroupés par quartiers, et de richesses en quantité presque incroyable. Une religion « nouvelle », une religion de prêtres, s’insinue et traque, comme de juste, les anciennes croyances et leurs tenants.
Tout ceci fait de "
Chien du Heaume" un roman intéressant, de part le sort funeste que l'auteur réserve aux conventions de la
fantasy. De plus, le style de Justine Niogret sert à merveille son récit. Son parler est rude comme ses personnages, sonne vraiment médiéval, mais d’un médiéval à la
Martin de la Chair et le Sang, pas à la Lancelot du Lac. Même les parties non dialoguées profite de ce style brut et économe de mots qui évoque le récit d’un chroniqueur peu disert. La forme du récit en sert parfaitement le fond. Le ciselage de l’œuvre est réussi.
Et pourtant, je n’ai jamais vibré à la lecture de "
Chien du Heaume". Une quête trop quelconque à laquelle même Chien du Heaume ne semble plus s’intéresser au bout d’un certain temps, des évènements trop peu liés les uns aux autres et qui donnent l’impression d’être une collection de nouvelles accolées, trop peu de grandes douleurs, de rushes d’adrénaline, ou de moments de quête véritables, une résolution trop rapide et un peu moliéresque, un personnage de reine noire qui aurait pu faire plus et ne le fait pas, jusqu’à une fin cathartique. Cheminant du début à la fin, je me suis parfois un peu ennuyé, comme extérieur à ce que racontait le roman, comme observant un objet d’art réussi techniquement mais dépourvu d’émotion. "
Chien du Heaume" n’est pas le
retable d’Issenheim, c’est bien dommage.
Chien du Heaume, Justine Niogret
L'avis de Xapur
Commentaires
Malheureusement, je serais bien en peine de dire quoi.
Dommage que ce ne fut pas le cas pour toi. Peut-être devrais-tu éviter la suite, alors...
@ Lorhkan : Je vais sûrement éviter la suite, et j'en suis aussi désolé que toi.
Chien du Heaume reste pour moi un très bon moment.
Merci pour ta chronique.
Merci au gromo-mètre (^o^).
@ Blop : Le sexe joue peut-être, je ne sais pas. J'ai néanmoins un grand souvenir d'un roman où il ne se passe pas grand chose jusqu'à une catharsis, c'est Une soif d'amour de Mishima. Mais Mishima, c'est Mishima.
@ chris : My pleasure.
Ce qui fait qu'on peut en tenter la lecture sans "s'infliger" 1500 pages ,
Ce que j'ai voulu dire c'est qu'il y a d'un côté un objet dont je connais bien l'analyse sur la plan intellectuel et qui est aussi capable de m'émouvoir beaucoup quand je suis face à lui. Alors qu'avec Chien la satisfaction n'avait été qu'intellectuelle.
Je réalise à quel point c'est une private joke entre moi et moi. Si c'était à refaire, je ne le referais pas.