"
Jardins virtuels" est un recueil de Sylvie Denis regroupant
des nouvelles publiées il y a plus de dix ans et c’est un bien bon ouvrage. Je
remercie
Efelle qui m’a donné envie de lire ce petit livre.
Sylvie Denis, c’est un peu Greg Egan qui serait tombé dans
la marmite du Golden Age. Ses nouvelles développent l’effet des nouvelles
technologies sur l’humanité, dans une optique qui est souvent transhumaniste. En
cela elle est proche d’Egan, mais contrairement à lui, elle n’oublie pas de
donner des sentiments humains à ses personnages. Clonage, IAs, intrication
homme machine, robots prenant leur indépendance, les thèmes sont
technologiques, mais l’auteur prend soin de donner un sens politique aux
histoires qu’elle raconte, et des motivations humaines à ses personnages, en
particulier un amour de la liberté qui justifie de prendre des risques
physiques. Enfin, elle utilise des éléments de contexte qui m’ont souvent
furieusement fait penser au Golden Age par leur prosaïsme.
Dans les textes de Sylvie Denis, une humanité dépassant ses
limites biologiques se divise souvent en factions indifférentes ou opposées, regroupées
autour d’idées simplistes dans la cadre d’organisations autoritaires. Des
individus tentent de résister ou de se libérer, découvrant parfois qu’il est
plus noble de rester pour résister que de fuir. Au dilemme « Exit »
ou « Voice » d’Hirschmann, Denis répond sans hésiter « Voice », et même quand le tyran est diffus, résister est toujours une bonne idée. Les
histoires racontées sont de bonne facture, et ces textes se lisent avec plaisir
sans oublier de titiller l’intellect.
On trouvera donc dans ces pages, entre autres choses, les très bons «
Dedans,
dehors », prix Rosny Aîné 2010, nouvelle sur un intégrisme religieux
autoritaire miné par la résistance d’une jeune fille et d’un homme qu’ont
aurait pu croire absolument impuissant ; «
L’anniversaire de
Caroline », prix Solaris 98, dans lequel une femme condamnée à une peine
atroce trouve un moyen de s’évader virtuellement et de reprendre un peu de
contrôle sur le monde ; «
Fonte des glaces », où le militantisme
est porté par l’émotion du souvenir ; «
Cap Tchernobyl », un
texte triste dans lequel des robots en quête d’un lieu pour vivre libres
choisissent Tchernobyl, lieu ultime de l’absence humaine ; «
La
balade du singe seul », amusant, politique, sans doute trop
foisonnant dans sa thématique ; «
Si Thébaldus rêve… »,
description d’un lieu élitiste et clivant, un peu trop foisonnant aussi
peut-être ; «
De Dimbour à Lapêtre », très originale histoire de
clone et de sous-groupe humain, développant l’idée suivant laquelle les choix
de vie des uns entrainent la désapprobation des autres ;
«
Magma-Plasma », texte plaisant d’un classicisme achevé (avec
habitat martien and so on…) mis à part les dernières pages résolument
biotech ; «
Paradigme Party »,
dont j’ai déjà dit tout le bien que je pensais ici ; et «
Nirvana, mode d’emploi », texte beau,
poignant, sur l’exploration et la modification de la mémoire. Il n’y a donc que
deux ou trois nouvelles plus anecdotiques, ce qui est très peu.
Dans ce recueil hautement recommandable, Sylvie Denis livre
une SF politique au sens profond du terme, intelligente et sensible, modérée et
engagée, ce qui fait déjà pas mal de quadratures du cercle résolues dans un seul
ouvrage.
Jardins virtuels, Sylvie Denis
Commentaires
Du Egan avec des sentiments, exactement ce que je cherche, le froideur de ce dernier me gênant beaucoup...
Merci pour le rappel Guillaume, ce recueil m'avait échappé.