Aux Utopiales j'ai eu la chance de converser longuement avec Norbert Merjagnan. Abordable et chaleureux, il a longuement discuté avec les personnes présentes, dans le cadre formel des interviews, mais aussi informellement au Bar de Madame Spock ou dans les travées du festival.
Après
Les Tours de Samarante et
Treis, altitude Zéro (nominé Prix des blogueurs Planète-SF 2011), il travaille sur le troisième volet de sa trilogie.
Il avait déjà répondu
aux questions de Quoi de Neuf... et dans l'entretien qui suit il parle très ouvertement de sa conviction dans une humanité plurielle, de la recherche scientifique, et de son processus d'écriture.
« Toutes les histoires que j’écris sont vraies ». C’est par ces mots, dignes de Boris Vian, que Norbert Merjagnan commence à répondre à notre interview.
Le futur décrit dans ses deux romans est-il le nôtre ou un futur parallèle possible ?
Je suis convaincu que nous vivons une évolution majeure de la société et de l’Humanité, semblable à celle que connut le XVIème siècle. Les progrès de la génétique, de la cybernétique, et de la robotique sont tels que l’Homme augmenté est maintenant une certitude. Cette évolution sera tirée par les moteurs habituels de l’innovation : la demande militaire et la demande de produits de luxe. Il y aura un marché pour l’augmentation de l’Homme donc il y aura innovation. La question à se poser est : « Comment évolueront les paradigmes culturels face à ces changements techniques ? ». Mais aussi : « Y aura-t-il une seule Humanité ou plusieurs ? ». La paléontologie nous apprend qu’il y a eu plusieurs hominidés différents qui se sont succédés, peut-être croisés, voire ont éventuellement échangé des gènes par reproduction sexuée. En dépit de ce fait, la doxa méta-culturelle affirme l’unité et l'unicité de l'espèce humaines. Un seul humain à l'image d'un seul dieu, peu importe lequel du moment qu'il est l'Unique. De mon point de vue, en tant qu’individu singulier, je ne peux pas croire que j’appartiens à la même humanité que celle qui compte en son sein des hommes capables de faire des guerres dans lesquelles on assassine des enfants. Certains actes, le viol par exemple, me semblent physiquement impossibles, même en tenant compte de l’imprégnation culturelle. Il y a des limites indépassables pour moi, ma nature l’empêche, ça m’est étranger. Je pense qu'il s'agit d'une question de tempérament, de nature, car le facteur clé est la sensibilité, la perméabilité à la souffrance d'autrui. J'y vois un signe qu’il n’y a pas ou plus d’unité de l'espèce humaine. Dans le même ordre d’idée, se pose la question des athlètes handicapés qu’on ne sait pas ou plus où classer. De plus, il est évident que le sport utilisera rapidement des améliorations cybernétiques, ou génétiques (il utilise déjà des améliorations chimiques ;-). La notion de compétition sportive implique l’existence d’un Homme « générique » dans son essentialité, condition sine qua non de la comparaison juste des performances. Comment ce milieu traitera-t-il les divergences biologiques ?
Comment écris-tu ?
Je suis en recherche, même si j’ai quelques certitudes. Ce sont les images qui permettent de comprendre. Ma recherche se nourrit de visions. Quand j’écris, je sais quand une scène n’est pas vraie. Il faut alors que j’abandonne cette tentative et que je cherche la « vraie » scène. Pour le troisième tome des Tours, je cherche encore des éléments de l’histoire mais récemment quelque chose d’important, un nœud du récit, s’est débloqué.
Comment es-tu passé à l’écriture ?
J’ai essayé le plus possible de vivre en paix avec mes doutes et mes questions, depuis tout enfant. J’ai tenté de construire une vie combinant un doute supportable et l’absence soutenable de questionnement. Ça n’a pas fonctionné. A un moment j’ai compris que je devais chercher. Il m’a fallu décider et changer.
Ecrire ne me rend pas heureux, mais c’est ce qui est le plus proche de quelque chose qui pourrait me rendre heureux. J’ai une dizaine de romans en tête. Beaucoup d’auteurs cherchent une histoire pour assouvir leur besoin d’écrire, moi je n’ai pas besoin d’écrire mais les histoires sont là, elles veulent sortir. Je serai heureux le jour où je n'aurai plus d’histoire : elles seront toutes sorties.
D’où penses-tu que viennent tes histoires ? Du tréfonds de toi par le biais d’une psychanalyse littéraire ou d’un monde platonicien des idées ?
En tout cas, pas de la psychanalyse. Je m'y suis intéressé, beaucoup, puis je m’en suis détourné. Il n’en sortait aucune réponse. La psy, c’est les médecins de Molière des siècles à venir, la camisole chimique mais la connaissance sur le fonctionnement du cerveau est trop faible. Je dirais plutôt d’un monde des idées, par l’intermédiaire de brèches, d’ouvertures, de clefs. Je trouve l’idée de brèche très vivante. La brèche ouvre un monde, un lieu. Mes idées viennent de la recherche des clefs de la compréhension (comme chez Peters et Schuiten, par exemple). La brèche s’ouvre quand se rencontrent un lieu, un moment, une personne. Cela génère une émotion qui bouleverse l’agencement des idées, la vision des choses, et fait apparaître autre chose : une altérité. Mais les idées peuvent aussi bloquer ou du moins freiner. Aujourd’hui des chercheurs en physique théorique remettent en cause l’idée du Big Bang, en l’incluant dans un Tout plus vaste qui le précède et le suit. Un temps linéaire est trop heureusement lié à l’expérience humaine, naissance, vie, mort. Je me bats contre les méta-systèmes car ils sont bloquants. Quand je bloque sur une représentation qui me déplait je lis beaucoup pour me renseigner et comprendre la logique de la chose. J’aime assez la vision asiatique d’un Univers en respiration entre contraction et expansion.
Que penses-tu des volontés de géoengineering liées au réchauffement climatique telles que décrites dans le SuperFreakonomics de Dubner et Levitt par exemple (le monde des Tours ayant souffert des « armes climatiques »)
Je suis pour tout expérimenter. Mais je ne peux m’empêcher d’être méfiant. Si l’expérimentation tombe dans les mains de groupes qui voudront en tirer un profit rapide, il y a le risque d’aller trop vite et de ne pas tenir compte des risques globaux. Le chercheur est passionnant, l’exploiteur de la science est quelquefois débectant. Le plus intéressant dans l’Homme c’est sa curiosité et son goût de la découverte. La vraie question est celle du choix, de faire ou de ne pas faire, mais pas avant d’avoir cherché. J’aimerais qu’on puisse chercher beaucoup plus. De toute façon, s’il y a une chance de rentabilité, ou d’exploitation militaire, ça se fera tôt ou tard. Il vaudra mieux alors qu’on y ait travaillé, réfléchi, et qu’on ait discuté de ce qu’on voulait en faire. « La seule façon d’être protégé, c’est de connaître ».
Quittons Norbert Merjagnan avec la certitude que nous le recroiserons, dans ses livres ou en vrai, je ne sais ce qui est mieux.
Photo de Christophe Schlonsok
Commentaires
Félicitations, tu as mérité ton accréditation aux Utopiales.