Un livre aussi personnel que “
Rêves de Gloire” ne peut faire l’objet, me semble-t-il, que d’une chronique qui l’est aussi. Alors, c’est parti.
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Rêves de Gloire” est un pavé de 700 pages dans lequel RC Wagner revisite et réinvente l’histoire de la guerre d’Algérie et de l’indépendance subséquente, ce non-dit central de l’Histoire contemporaine de la France, ce passé qui ne veut pas passer. Uchronique, “
Rêves de Gloire” utilise un point de divergence principal : De Gaulle est mort dans un attentat en 61, tout ce qui suit sur le plan politique est donc très différent de ce que nous connaissons. Il y a une seconde divergence au moins aussi importante dans le récit de Wagner : Tim Leary introduit la Gloire (in the sky with diamonds ?) en France au début des années 60 ce qui donne naissance au mouvement vautrien, hippies avant l’heure qui feront florès dans l’Algérois. Si l’on cherche un résumé plus détaillé, le Net en regorge, et je suis toujours aussi dubitatif devant cet exercice.
Disons-le tout net, “
Rêves de Gloire” est le fruit d’un énorme travail et ça se sent. Le fond historique est conséquent et très détaillé. Mouvements, personnages, sortent du fond des âges et reviennent s’adresser à nous (quand ai-je entendu parler de Messali Hadj pour la dernière fois ? ça fait un sacré bout de temps). Wagner rend parfaitement la complexité de la situation politique. Le conflit, central, entre indépendantistes et métropole, n’occulte pas les conflits qui agitent en interne les indépendantistes, les algériens de base (parfois sur des bases ethniques ou religieuses), les pieds-noirs, les métropolitains. Il n’y a pas deux camps, il y en a une infinité, aux valeurs et aux objectifs divergents. La guerre coloniale est aussi montrée comme imbriquée dans un ensemble de mouvements géopolitiques qui sont loin de ne concerner qu’une France dont le rôle mondial s’amenuise. Les deux superpuissances s’intéressent au sort de cette terre, ainsi qu’un grand nombre de pays plus modestes, l’Espagne par exemple. Le lecteur, éclairé, sortira du roman avec l’impression, juste, que la situation était un vrai merdier que personne ne contrôlait et que peu pouvaient se vanter de comprendre dans les moindres détails. Il sera peut-être devenu aussi paranoïaque que les populations locales qui avaient fini par voir des barbouzes partout (souvent à juste titre).
Pour ce qui est du décor, “
Rêves de Gloire” décrit avec une économie de détails la ville d’Alger. Il est léger dans les descriptions, mais parvient néanmoins à rendre les paysages et les ambiances de la ville. Du beau travail que cette évocation.
Au-delà de cet immense travail de documentation et de remise au jour d’une réalité oubliée ou occultée, la qualité principale, je dirais le tour de force du roman, est d’avoir réussi à donner la parole à tous les protagonistes du conflit. Aucun point de vue n’est négligé, et nous entendons la voix de chacun : algériens arabes, ou kabyles, ou mozabites, membres du FLN ou simples villageois, sympathisants ou opposants à la rébellion, européens d’Algérie (français mais aussi italiens ou espagnols) plus ou moins militants et/ou motivés par l’Algérie Française, groupes racistes ou non, soldats du contingent, légionnaires, métropolitains. Il n’y a pas de gentils ni de méchants dans “
Rêves de Gloire”. Il y a quelques purs et quelques salauds, mais il y a surtout des gens normaux qui font ce qu’ils croient juste et peinent à savoir ce qui le serait. Cette question est toujours délicate, elle l’est encore plus dans la situation de confusion qui était celle de l’Algérie de ces années-là ; d’autant que la simple survie était parfois incompatible avec la justice. “
Rêves de Gloire” est de ce point de vue le panorama le plus exhaustif que j’ai jamais vu ou lu sur la question algérienne, même si, par la force des choses, il n’est pas le plus clair. Chacune de ces très nombreuses personnes parle avec sa voix, ses mots, son style. Chacune apporte son fragment d’une vérité si grande qu’elle est inconnaissable. L’auteur passe sans cesse avec brio de l’une à l’autre, comme un imitateur quittant une défroque pour en enfiler une autre, comme un Brachetti de la plume. C’est bien fait, sans fausse note.
L’auteur rend aussi hommage à des dizaines de gens, ne serait-ce qu’en leur offrant une apparition dans son texte. J’ai attrapé beaucoup de références, j’ai dû en rater pas mal aussi. Parmi tous ces illustres personnages réels qui tiennent compagnie à ceux créés par Wagner, j’ai aimé rencontrer le malheureux Pete Best, d’une certaine manière vengé, ou Martin Birch dont je voudrais rappeler à l’auteur qu’il a aussi produit Iron Maiden ; Albert Camus écrit une uchronie, dans une mise en abyme entrelardée au fil du roman, et il est plusieurs fois question de Boris Vian. Wagner écrit même un passage d’une rare finesse, que je veux citer ici tant il m’a fait penser à un autre de Vian que j’aime beaucoup (un autre avec un pourboire et un menteur) : « De toute manière, lancer la Bombe, c’est une sacrée responsabilité, et il faudrait être cinglé pour le faire sans avoir les moyens d’affronter la riposte inévitable. C’était sans doute pourquoi ceux qui ont fait exploser celle du 7 juillet ont préféré la poser… »
Enfin, j’ai souri plusieurs fois en entendant des mots qui m’ont rappelé des gens et des moments. Entendre parler de Limiñana, de tchoutchouka, de la grande Zohra, de Belcourt, même du trésor perdu du FLN (et j’en passe) dans un contexte sérieux (Parce que, dans “
Rêves de Gloire”, RC Wagner arrive à ne pas ricaner), et pas dans la bouche de Robert Castel, était agréable ; il ne manquait que la boutade sur le cimetière de Bône. Cet aspect me concerne, mais je ne crois pas que beaucoup de lecteurs aient la même madeleine.
Donc, “
Rêves de Gloire” est un bon livre. Mais, est-ce un livre que j’ai aimé lire ? La réponse est loin d’être un Oui franc et massif.
Le roman est à mon avis bien trop long. C’est son défaut majeur, il a facilement 200 pages de trop. La réécriture de l’histoire du psychédélisme a alourdi le roman et a failli me faire mourir d’ennui. Les histoire du rock (réel) me gonflent déjà rapidement par leur enfilement de noms, de titres, et de lineups (et pourtant le sujet m’intéresse), alors l’histoire fictive de concerts et d’albums fictifs… Sans parler des longues bios de groupes imaginaires. On m’objectera peut-être que ce sont des éléments d’uchronie culturelle et de contexte, mais on peut faire plus varié, sans fixation obsessionnelle sur un mouvement musico-culturel. C’est ce que fait John Brunner dans « Tous à Zanzibar » par exemple. L’histoire des vautriens m’a partiellement gâché l’histoire de l’Algérie alternative. Je l’aurais tellement plus aimée sans. (Qui plus est, je suis viscéralement du côté des punks, je n’arrive pas à prendre les babas et leurs rêves au sérieux, et j’ai regardé les collectifs décrits par Wagner avec un mélange amusé de sidération et de commisération. Mais ça c’est mon patos (l’auteur appréciera l’orthographe)).
De plus, Wagner utilise de nombreuses autres divergences historiques dans son texte (attaques nucléaires, Lune, canal de Suez, etc…), mais il n’en fait rien. C’est dommage et déroutant. Que font-elles dans le roman alors ?
L’enquête autour du disque qui tue m’a vite fait penser à Ring. Ce n’était sûrement pas le but, et ça l’a décrédibilisée. Mais il est vrai qu’utiliser un vinyle comme fil rouge était certes original mais désespérément empêtré dans cette histoire vautrienne dont j’ai dit plus haut ce que j’en pensais. Sa résolution est de plus, comment dire, simplette. Avec une autre intrigue centrale et un autre personnage principal, “
Rêves de Gloire” aurait pu être un chef d’œuvre. Il avait ce qu’il faut pour.
Enfin, et sans jouer au jeu de l’autobiographie ou pas, certains tics de l’écrivain transparaissent dans le roman et je crains qu’ils n’aient une date de péremption très proche. Les allusions militantes au partage de fichiers ou à la « nation de propriétaires » risquent fort de vite devenir obscures. L’auteur s’est fait plaisir, c’est son droit, mais il prend le risque que certains passages deviennent rapidement
private joke.
Au final, “
Rêves de Gloire” est un assurément un livre impressionnant mais il n’a pas vraiment été d’une lecture agréable, la faute à une bande de babas sous acide.
Rêves de Gloire, Roland C. Wagner
Commentaires
Pour le "patos", peut-être n'es-tu pas d'origine pied-noir et ne sais-tu pas ce que ça signifie, sinon tu aurais compris le clin d'oeil.
Et pour finir, en ce qui concerne les babas, je te renvoie à la chanson de Dead Milk Men et à son refrain "All the punks are gonna scream yippee, 'Cause it's the thing that only eats hippies."
Cordialement.
Mais merci surtout pour la citation de Dead Milk Men qui m'a arraché quelques larmes et une crise de toux, mais que je m'empresse quand même de glisser dans ma besace (déjà bien garnie) d'anti-hippies.
Comme indiqué un peu avant, ce qui coince pour vous est la présence de personnages qui ne vous intéressent pas et la longueur de passages qui vous semblent superflus (entre autres). Je ne conteste pas votre ressenti, mais du coup, l'enchaînement de votre explication donne l'impression que ce que vous dites est "Si Rêves de gloire avait été écrit selon mon goût, il aurait pu être un chef d'oeuvre". Je me doute que ce n'est pas exactement ce que vous aviez en tête, mais cela sonne un peu comme cela. Merci de me dire ce que vous en pensez.
Cordialement, S.
Utiliser le biais de l'uchronie pour raconter la guerre d'Algérie aurait pu faire du livre un livre important (et c'est un adjectif que je n'utilise que rarement). Tel que, avec l'histoire des vautriens en plus, il perd de sa force.
Pour être encore personnel, RdG est un livre que j'aurais pu/voulu offrir pour son aspect historique. Mais là, je ne me sens pas vraiment de le faire.
J'espère que ça éclaire un peu mon point.
Cordialement
@ Itsme : Ca se tente.
Personnellement, j'ai bien aimé les vautriens, (alors même que je ne m'intéresse pas aux hippies), parce que RCW me semble les lier à un projet politique plus cohérent. Ils font partie des ingrédients qui permettent de supposer un Alger plus libéral (au sens politique) que sa version alternative.