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The Lifecycle of Software Objects", de Ted Chiang, vient d'obtenir le Hugo et le Nebula de la meilleure
novella. Je n'ai pas lu les autres nominés mais à l'evidence Chiang n'a pas volé ses prix.
Comme il sait très bien le faire
à l'occasion, l'auteur surfe avec bonheur sur des concepts novateurs et en tire une histoire passionnante, sublimant la réflexion par le miracle de l'émotion. Dans ce domaine, il bat à plate couture Cory Doctorow ou Greg Egan.
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The Lifecycle of Software Objects" illustre une idée qui commence furieusement à se faire jour parmi les spécialistes d'intelligence artificielle, l'idée suivant laquelle il serait plus réaliste de vouloir élever une IA vers l'intelligence que d'espérer en créer une déjà intelligente, surgissant d'un logiciel cognitif comme Athéna de la cuisse de Zeus. La création d'une IA s'apparenterait alors à une naissance eugénique suivi d'un long apprentissage. Après sélection évolutive et accélérée des ADN numériques les plus aptes au développement de la cognition, les IA bébés prometteuses devraient être stimulées, guidées, amenées à l'intelligence par l'interaction. Ce que la sélection des IA potentielles doit dégager, c'est le système de récompense qui permettra de donner à ces "cerveaux" vierges l'envie d'apprendre, comme chez les bébés humains où c'est la nouveauté qui procure du plaisir, poussant les jeunes à la rechercher sans cesse, et rendant inévitable le développement intellectuel. Ana et Derek, les personnages principaux de la novella, élèveront, dix ans durant, quelques spécimens dans une adversité matérielle grandissante.
Dans sa
novella, Chiang montre au lecteur deux voies vers l'intelligence. L'une, proche de l'autisme, crée des systèmes intelligents au sens où ils peuvent prendre des décisions "intelligentes", y compris dans des contextes nouveaux, l'autre développe des intelligences peut-être moins performantes mais plus complètes dans leur humanité. Les bébés IA au centre du récit sont profondément humaines. Ce sont des enfants en demande d'amour, de connaissances, de relations. Ils sont capables d'inspirer un amour véritable chez les humains qui les "élèvent". Les IA que Chiang choisit de décrire en détail sont nos enfants. Il nous revient d'en prendre soin. Même lorsque leur statut d'objet logiciel sera douloureusement rappelé par un changement de système d'exploitation et les problèmes économiques qu'impliquent leur transfert sur le nouveau système. La question économique, et la caractère discrétionnaire du biotope des IA, rejoint ici la préoccupation de Doctorow dans la déchirante nouvelle
Epoch. Ces IA ont aussi, comme des enfants qui grandissent, droit à une autonomie véritable, surtout et y compris lorsqu'ils veulent prendre des décisions que leurs parents désapprouvent (il y a d'ailleurs un très joli dialogue sur la question entre une IA et son "père").
Chiang brasse beaucoup d'autres questions dans "
The Lifecycle of Software Objects" (durée de vie des mondes virtuels, impossible dignité d'intelligences qui peuvent être ramenées à une sauvegarde antérieure, utilisation malveillante qu'on peut faire d'êtres sans droit, amour et "sexualité" des IA, notion de mort ou tout au moins de stase longue pour un être logiciel, etc...) et il le fait en donnant une telle impression d'évidence que ces questionnements atteignent le lecteur sans même qu'il s'en rende compte. De la belle ouvrage ma foi.
Joliment écrit, doté de personnages attachants, et truffé de pistes de réflexions sans jamais être démonstratif, "
The Lifecycle of Software Objects" est un texte émouvant qui parvient à faire oublier l'inhumanité et l'immatérialité de ses héros, et qu'on pourrait placer entre traité d'éducation et récit d'enfant sauvage.
De superbes illustrations de Christian Pearce accompagnent le texte et l'illustrent mieux que des mots. Après celle de la couverture, j'en place une seconde ci-dessous.
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The Lifecycle of Software Objects, Ted Chiang"
L'avis de Cédric Jeanneret est
ici.
Commentaires
Vite, un traducteur !
Est-ce suffisant ?