Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Car nous sommes nombreux...


Les Humanoïdes Associés sortent l'intégrale de la série de Fabien Nury "Je suis Légion", sous le titre "I am legion", au format comic et pour le prix très modeste de 13€95. Grande idée.
Loin des tartes à la crème récurrentes des méchants nazis cherchant une méchante arme magique pour gagner la guerre (qu'a popularisées en son temps Indiana Jones), Nury crée une histoire de guerre riche, violente, et tortueuse. Dans "I am legion", le marais des services secrets est agité de violents courants. En 1942 l'issue de la guerre est encore incertaine, et de grandes manœuvres opposent services anglais et allemands, mais aussi, au sein même du IIIème Reich, renseignements militaires (l'Abwehr, dirigée par l'Amiral Canaris, personnage courageux exécuté pour avoir tenté d'assassiner Hitler) et le SD SS (représenté dans la BD par un personnage rappelant furieusement Reinhard Heydrich). Nury promène le lecteur dans ce marigot sous le couvert d'une enquête des services secrets britanniques qui cherchent à comprendre pourquoi et comment l'un des hommes les plus riches de l'empire s'est suicidé. Pendant que l'enquête se déroule, les acteurs cachés, en Angleterre, en Roumanie, et au Portugal, avancent leurs propres agendas et la prise du vulgus pecum sur les évènements est mince. Les agents seront confrontés à des évènements de nature fantastique, mettront à jour un complot international, et en apprendront beaucoup sur le dessous des cartes. Il seront spectateurs plus qu'acteurs d'une lutte séculaire dans laquelle ils ne pourront faire mieux qu'être les grains de sable qui enraient un peu la machine.
Ce n'est pas de l'uchronie, comme dans le très bon Block 109, mais de l'Histoire Secrète à son meilleur, Nury mélangeant habilement faits historiques et oeuvre d'imagination. D'où l'intérêt d'avoir les deux albums pour multiplier les plaisirs.
Le graphisme de John Cassaday illustre à merveille le scénario, avec une approche cinématographique dynamique et vive qui rappelle Inglorious Bastards (mais la BD a précédé le film). Tortures, combats, explosions, mais aussi rues pluvieuses de Londres ou boueuses de Roumanie, le dessin, toujours entre calme des actions secrètes et fureur des combats, sert le texte, comme il est servi par la colorisation parfaite de Laura Martin (qui ne se fourvoie donc pas toujours avec Warren Ellis).
A noter qu'existe maitenant une préquelle, "Les chroniques de Légion", du même Nury, mais dont les dessins, partagés entre quatre dessinateurs, ne m'ont vraiment pas convaincus.
I am legion, Nury, Cassaday, Martin

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