A moins que tu choisisses un livre sur sa seule couverture (et alors, passe ton chemin), tu sais, toi lecteur potentiel de "
La clé de l’abime", en train de lire cette chronique, que José Carlos Somoza y réinterprète l’œuvre de Lovecraft. Ne m’accuse donc pas de spoiler, toi, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère.
"
La clé de l’abime" raconte à cent à l’heure les aventures d’un petit groupe d’aventuriers en quête du secret pour détruire Dieu, un Dieu qui vit sous la mer et distille la Peur sur le monde. Situé dans le temps bien après une apocalypse planétaire, le roman prend place dans un monde futuriste, particulièrement déjanté sans jamais être ridicule. Technologique,
steam par moment, monumental, glacé, il m’a fait penser aux albums de Schuitten, de Bilal, ou aux tableaux de Dali. On y trouve mêlés la même démesure et la même incongruité (les poissons, par exemple, volent dans les « cieux » de la Zone Oubliée, la Nouvelle-Zélande est peuplée de tribus « d’hybrides »). Ce monde distordu – on serait tenté de dire non-euclidien, ce que Somoza ne fait pas - est peuplé de post-humains stériles, plus ou moins proches de leur nature atavique. Il est surtout le lieu où prospère une religion totalitaire (bien que paradoxalement tolérante envers les non-croyants) qui imprègne tous les instants de la vie. Fondée sur les 14 livres de la Nouvelle Bible, elle propose à la fois une cosmogonie, un système de valeurs, et une initiation à la praxis magique. Les personnages des récits de Lovecraft sont des prophètes ou des modèles (comme Job ou David dans l’ancienne Bible), leurs aventures sont des paraboles à méditer, leurs techniques, de la magie utilisable. Fond et forme du roman, elle en est aussi le moteur, car faut-il tuer Dieu ou au contraire le sauver ?
Comme dans
Le livre de Dave, de très vieux textes servent de fondement à la réalité concrète du moment (et n’est-ce pas ça le point fondamental de toute religion). A l'instar de Will Self, Somoza pointe les dangers d’une confiance aveugle dans de vieux écrits dont la validité est douteuse du fait même de leur ancienneté. Il visite les effets les plus abscons de cette religiosité folle, comme il promène le lecteur à travers divers genres de la littérature de SFFF ; il offre un kaléidoscope de points de vue et de traitements qui chatoient sous les yeux du lecteur. Il est difficile de lâcher le roman tant on saute de rebondissements en révélations le long d’un fil narratif presque unique. Il intègre de manière très habile le lovecraftisme (si tant est qu’une telle chose existe) à son récit, et la greffe prend tellement bien qu’elle parait naturelle.
Dans "
La clé de l’abime", Somoza réussit le pari très risqué de créer un monde baroque et noir, follement original, d’intégrer Lovecraft sans le nommer, de donner voix à de nombreux points de vue, d’entrainer le lecteur dans une course poursuite qui rappelle aussi "Le tour du monde en 80 jours" par sa frénésie déambulatoire. Toutes les pages paires on croit qu'il va se casser la gueule, toutes les pages impaires on se dit qu’il est vraiment habile ; il est sans cesse à la limite du « trop » et il parvient, tel un funambule, à ne jamais la dépasser.
Mon seul regret est un personnage principal bien fade. Dans "
La clé de l'abime", ce sont les seconds rôles qui mènent le récit.
La clé de l'abime, José Carlos SomozaLu dans le cadre du
Challenge Fins du Monde de Tigger Lilly
Commentaires
PS : Ne disons rien aux belges qui passent sur ce blog, je ne suis pas sûr qu'il soient aussi fans ;-)
Je vais finir par acheter des livres avant la prochaine rentrée scolaire... :(
J'ai un bon pote qui est docteur en physique théorique et il a halluciné.
J'en suis aussi à me dire que je devrais lire un peu de fiction en espagnol, histoire de varier mon vocabulaire.
Voilà qui me paraît être un livre correspondant à mes besoins du moment.
Avec un peu de discernement, je devrais arriver à éviter de croire que R'lyeh est un mot espagnol :)