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Privés de futur" est une anthologie consacrée à l’hybridation du polar et de la SF (voire SFFF), publiée en 2000 par ce qui n’était pas encore tout à fait le Bélial. Lisant les deux genres, leur réunion m’attire. Que m’offre donc "
Privés de futur" ? Sous une couverture assez laide, on trouve 24 nouvelles très inégales.
Commençons par le bon :
Le grand éveil, de Kim Newman. Cthulhu sur la côte Ouest. J’en avais dit beaucoup de bien
ici. Etant, pour quelques temps encore, Alzheimer-free, je confirme.
Le miracle d’Ivar Avenue, de John Kessel. Une jolie histoire de mort non-mort, construite comme un film optimiste de l’Hollywood des années 50.
La langue de l’océan, de Jacques Vettier. Meurtre au fonds des mers. Un texte bien écrit, angoissant, et inexorable.
Paradigme party, de Sylvie Denis, est un texte intelligent mêlant subtilement théorie mémétique et intelligence artificielle, dans le cadre d’une affaire de contrôle mental. J’aime les textes dotés de conversations théoriques, et celui-ci est, grâce à elles, réussi. Une perle de relativisme.
Ce qu’une main donne, de Robert J. Sawyer. Dans un monde à la
Gattaca, où l’ADN dit qui vous êtes et ce que vous serez.
Paradise city, de Thomas Day, est une belle description d’une ville en déliquescence dans un monde mourant et en transformation. On est ici dans une forme déviante de
police procédural.
Le correct suit :
Retour aux affaires, de Fabrice Colin. Détective, fantômes, steampunk. Distrayant mais un peu trop gouleyant ou grasseyant à mon goût.
La balle magique, de Brian Stableford. Attentat contre un scientifique. Qui ? Pourquoi ? Le texte aurait gagné à être moins annoté par le traducteur
Evolution, de Nancy Kress. Où on voit une femme anonyme tenter de sauver son fils, et ce qui peut l’être d’un pays mis au bord de l’effondrement par une épidémie.
Méfiez-vous des contrefaçons, d’Andrew Wiener. Enlevé et drôle, un texte sur la contrefaçon qui rappelle irrésistiblement l’Invasion des profanateurs, ou certaines scènes des Men in Black.
Dégaine, crapule, de Jean-Hugues Oppel rappelle le film
Mondwest. Prévisible, la nouvelle est assez courte et vive pour être plaisante.
Puis :
La langue fondamentale, de Robert Canavaro. La présentation du texte demande "si l’attrait du polar-SF qu’est le cyberpunk gibsonien ne résidait non pas dans l’envahissement déglingué de la technologie, mais seulement dans l’emploi du Japon comme décor". Et bien la réponse est NON.
Délite, de Michel Leidier. Bof !
Copie conforme, de Christo Datso, est un texte inutilement compliqué. L’auteur aurait gagné à faire plus simple.
Un monde qui nous parle, de Marie-Pierre Najman, est un texte pompeux sur l’amour des livres, de la lecture, les singes qui, à l’infini, taperaient les œuvres complètes de Shakespeare, and so on… Qui plus est, avec des personnages nommés Papa Belkacem, Janice Berthier, Prof Pivert, Ange Dolovici, le professeur Pommier, on se croit dans un épisode de
Plus belle la vie ou une partie de
Cluedo.
Shootin’ Paparazzi, de Francis Mizio, est un texte ridicule.
Pourquoi j’ai tué mon clone, de Jacques Mondoloni, manque d’intérêt narratif.
S’il n’était vivant, de Roland C. Wagner, n’a rien en terme d’enquête. Réfère à Dick. M'a rappelé le jeu de rôle
Rêve de Dragon, un classique du jdr franchouille avec zyglutes et pressoir à cidre sacrés.
La feuille jaune ; de Jean-Bernard Pouy. Bof !
Le petit éveil, de Johan Heliot. Bof !
Joe, de Jean Millemann. Bof !
Gluco Block Alpha, de Stéphanie Benson. Prévisible, vide, mou.
Moi le Maudit, de Richard Canal. Si j’avais gagné un euro par référence cinéma, je roulerais en
Ferrari. Trop patchwork pour passionner.
La crise de curiosité, de Vivian Robert. S’enlise rapidement dans des considérations guère passionnantes.
Au final, un bilan décevant, pour une anthologie grandement dispensable, dans laquelle l'élément polar est d'ailleurs souvent plus en filigrane qu'autre chose.
De plus, je crois, au vu de ce qui précède, avoir un certain nombre de tares fondamentales pour pouvoir bien critiquer la majorité des auteurs français. D’abord je suis trop gothique, et pas assez alternatif (ou vieux), pour apprécier à sa juste valeur le charme de l’argot franchouillo-rigolard qui est la marque de fabrique de beaucoup. Ce fonds et cette forme improbables, mélange chimérique de la jactance des bistrots de Ménilmontant et de celle des Tontons Flingueurs sur le ton ricanant d’Hara-Kiri, ne m’agréent pas. De fait, ils me gonflent. J’y vois de la facilité et de la maigre littérature.
D’autre part, je ne lis pas assez souvent Charlie-Hebdo et autres périodiques marxistes tendance Groucho, pour réaliser pleinement à quel point les politiques, sans parler des ecclésiastiques, sont des enculés corrompus, les firmes des brutes sans cœur, et comme il est futé d’écrire ™ ou © ou ® après un nom de marque pour prouver qu’on n’est pas dupe. Je ne réalise pas non plus assez que pouvoir, politique, et partouze sont inextricablement liés, ce qui amène parfois un étonnement devant ce qui ressemble pour moi à de la tortuosité obsessive. L’avant-propos du recueil donnait d’ailleurs le ton, entre langage gratuitement vulgaire et blagues de potache.
Je ne suis sûrement pas le critique compétent pour une grande partie de là production française. Ou alors, après une petite rééducation.
Commentaires
Berlusconi ?
@Efelle : Certes mais le ratio bon/mauvais textes varie légèrement à la hausse ou à la baisse. Ici on est clairement à la baisse. Qui plus est, le pathos qui s'y exprime est tellement redondant et convenu que l'effet d'accumulation a joué jusqu'à que je n'en puisse plus. Je suis entré en fusion.
Toi qui as fréquenté Casus Belli, tu te souviens de Rêve de dragon et des zyglutes ?
Et les moutons électriques sont la référence imho.
Je suis néanmoins d'accord sur le fait qu'il y a bien plus (comment dire) outré que Charlie-Hebdo.
Mais, dis-moi, il me semblait que Blackagar Boltagon ne devait jamais parler sous peine de cataclysme ;-)
Ça doit en faire un grand amateur de communications écrites, par contre ;)
Mais quel rapport entre les zyglutes et Guy Marchand neurocablé ?