The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

L'Histoire ne repasse pas les plats


Parfois, très rarement, on tombe sur un livre où un spécialiste dit une chose qu'on croit soi-même depuis longtemps. C'est toujours un moment excitant.Dans son essai "The great stagnation", l'économiste Tyler Cowen (proche des libertariens mais beaucoup moins hostile à l'Etat que la plupart) formalise et s'efforce de démontrer scientifiquement une idée que je perçois depuis longtemps de manière impressionniste et qu'il m'arrive de développer en cours. On imaginera donc sans peine quel plaisir j'ai pu prendre à lire cet ouvrage, et on me pardonnera, je l'espère une certaine partialité.
Notons pour commencer que la thèse de Cowen se base sur l'histoire des Etats-Unis mais qu'elle peut être transposée sans difficulté aux autres pays occidentaux ; il suffit de changer quelques dates et faits. La voici, dite en quelques mots : la grande croissance qu'a connu l'Occident est due principalement à l'utilisation d'opportunités qui sont largement épuisées et nul ne sait quand s'en présenteront de nouvelles. Les opportunités dont parle l'auteur (et qu'il nomme low-hanging fruits) sont la disponibilité d'immenses terres "libres" (spécifique au cas américain et à condition d'ignorer, ce qu'il ne fait pas, la présence amérindienne), l'éducation des nombreuses populations qui ne l'étaient pas, le progrès technique explosif de la fin du XIXème et du début de XXème. Il y ajoute (et ça me parait capital) l'accès à la source d'énergie abondante, pratique, et bon marché que fut le pétrole, ainsi que de bonnes institutions. Cowen s'applique à démontrer que ces opportunités ont fini de donner tout ou presque de ce qu'elle pouvait fournir ; elle ont été "épuisées". Il n'y a plus de vastes terres libres, la population est très largement éduquée, le pétrole se fait de plus en plus rare et cher, les institutions ne peuvent faire la croissance à elles seules, quand au progrès technique, il n'a plus apporté d'innovation radicale depuis longtemps. De ce fait, la croissance annuelle moyenne des économies occidentales a fortement diminué depuis les années 70. De plus, les rares nouveautés importantes, singulièrement l'Internet, créent beaucoup d'activité hors marché qui rapportent peu de revenus pour les ménages et donc peu de recettes fiscales pour les administrations publiques. Cette situation a deux conséquences principales. D'une part, le niveau de vie, mesuré par le revenu médian, croît bien moins vite, ce qui, combiné au souvenir des années de grande croissance et de transformations techniques et sociales, induit un sentiment de frustration dans une grande partie de la population, qu'on peut constater dans les enquêtes de moral, la littérature décliniste, la "panne" de l'ascenseur social, la peur du déclassement, etc... D'autre part, elle tend à rendre l'Etat impuissant ou empêtré dans son propre poids comme l'albatros dans ses ailes. En effet, la grande croissance a permis la développement simultané de grandes organisations, entreprises géantes et Etats. Elle permettait de financer d'abord l'indispensable, puis le nécessaire, enfin le superflu, sans que le niveau des prélèvements soit jamais trop élevé pour être politiquement acceptable. Mais l'Etat est fait pour la grande croissance. En croissance ralentie il tend à croitre trop vite pour l'économie. Se heurtent alors stupidement deux politiques opposées et pareillement inefficaces à faire mieux que retarder la prise de conscience générale du ralentissement et de ses conséquences. A droite on mise sur les baisses d'impôts pour relancer l'économie et ramener la prospérité, à gauche on pense que plus d'interventions et de transferts sont nécessaires pour contrer inégalités et frustrations. Dans les deux cas c'est la dette qui comble la différence entre recettes et dépenses, repoussant ainsi le problème à plus tard, sans le supprimer. Les enfants gâtés des 30 Glorieuses et d'avant ne veulent ou ne peuvent admettre que l'époque où la manne tombait de la corne d'abondance est derrière nous jusqu'à nouvel ordre. Ce que Cowen annonce (dans la posture d'un médecin diagnostiquant une maladie grave) est une mauvaise nouvelle mais il pense qu'elle doit être connue.
Que propose alors Cowen (les propositions, dans un ouvrage d'économie, c'est en général le moment où je décroche tant je suis plus contemplatif qu'actif) ? En bref, faire tout ce qui est possible pour relancer la machine à produire du progrès technique en espérant que la prochaine innovation radicale est pour bientôt. Cela peut sembler un peu court, c'est néanmoins parfaitement cohérent avec sa thèse. Et si son livre servait à répandre largement la prise de conscience du caractère structurel et presque exogène du ralentissement, ce serait déjà, à mon humble avis, magnifique.

Pour une note de lecture plus détaillée, on peut aller chez l'Econoclaste.

The great stagnation, Tyler Cowen

Commentaires

el Jc a dit…
Mince me voilà pour une fois d'accords avec un économiste... C'est grave docteur ?
Gromovar a dit…
Il faut que tu lises France Soir pendant une semaine et ça s'arrangera :)
Guillmot a dit…
Intéressant tout ça, je pense que je le ressortirai à l'occasion de discussions.
Gromovar a dit…
Tu n'oublieras donc pas de me verser mes 10% de commissions :)
Gromovar a dit…
J'y pense d'un coup. Il préconise d'augmenter le statut social des chercheurs et dit que la société devrait leur faire savoir combien elle les aime. Tu vois qu'il reste du travail.
Unknown a dit…
Je suis pas tout à fait du même point de vue en ce qui concerne le progrès technique. Selon moi, chaque révolution technique apporte une prospérité retentissante, mais elle est de plus en plus courte dans le temps. La logique serait donc selon moi de rompre avec cette inertie de "course au progrès" et de chercher à optimiser au mieux les acquis que nous avons.

en terme concret, je pense que nous aurions tous à gagner en dépensant des millions pour utiliser à l'échelle mondiale les traitements anti-paludéen déjà existants plutôt que de dépenser des millions pour chercher un traitement d'une maladie encore incurable.

Enfin, je comprends les deux avis bien sur.
Gromovar a dit…
Deux remarques sur ta remarque :

- qui doit chercher un traitement anti-paludéen ? Si ce sont les firmes, elle ne chercheront que ce qui est vendable, et le paludisme n'est malheureusement (ou heureusement) pas une maladie répandue dans le Nord ; si c'est l'Etat tu tu heurtes alors aux conclusions de l'école des choix publics http://fr.wikipedia.org/wiki/Choix_public qui te dira que les élus ne font que ce qu'ils estiment capable de leur ramener des voix.

- ensuite, un traitement anti-paludéen ne serait pas une innovation radicale, il n'aurait aucun potentiel de transformation des structures économiques, politiques et sociales, à l'inverse de l'automobile ou de l'électrification par exemple. Aucune nouvelle source de croissance à chercher de ce côté.

- enfin, pour Cowen, c'est justement l'optimisation d'idées préexistantes qui explique qu'il y a moins de progrès technique, le rendement de la recherche devenant décroissant tant qu'il n'y a pas de changement de paradigme(c'est pour ça par exemple qu'on change régulièrement de fond en comble le règlement en Formule 1).
Gromovar a dit…
En fait, 3 :-)
Cédric Ferrand a dit…
Une question : pourquoi mes profs d'éco n'était pas aussi intéressant que toi ?
Gromovar a dit…
Grumf ! Que dire ?
Cédric Ferrand > je suis aussi du même avis que toi, nos profs aussi n'explique pas mieux que lui :)
Gromovar a dit…
@complémentaire santé : tu es une vraie personne ?