Quand "
Les réformes ratées du président Sarkozy" est sorti en 2009, je ne l'ai pas acheté, craignant un des innombrables pamphlets anti-sarkozystes qui font les choux gras de l'édition française, et dont l'apport culturel est très limité. Les récents troubles autour de la réforme des retraites ont ranimé mon intérêt pour cet ouvrage, d'autant que j'ai déjà eu l'occasion d'apprécier les travaux de Pierre Cahuc dans
La société de défiance. Et tant mieux.
"
Les réformes ratées..." n'est pas un pamphlet. C'est un ouvrage très documenté qui réalise la dernière étape de la réalisation des politiques publiques, l'évaluation ; précisément celle qui est systématiquement oubliée. Nicolas Sarkozy a été élu sur un programme et un discours qui voulaient réhabiliter le volontarisme en politique. A contrario de Lionel Jospin confessant "L'Etat ne peut pas tout" ou de François Mitterrand avouant "Contre le chômage, on a tout essayé", sans parler de Jacques Chirac somnolant à l'Elysée en regardant du sumo, Nicolas Sarkozy a cru et a fait croire que la volonté politique pouvait, comme la foi, déplacer les montagnes. Et les premiers mois de sa présidence ont donné l'impression que c'était vrai. Dans le cadre de ce qu'on a nommé l'hyperprésidence, les réformes, certaines bloquées depuis longtemps, s'enchainaient sans discontinuer. Sarkozy semblait en train de réussir où ses prédécesseurs avaient échoué. Pierre Cahuc et André Zylberberg montrent qu'il n'en est rien.
Les deux chercheurs étudient de manière systématique quelques réformes emblématiques du début du quinquennat. Pour chacune ils établissent une genèse, parfois sur des décennies, de la situation précédant la réforme. Puis ils présentent l'objectif de celle-ci, tel qu'annoncé par le gouvernement. Ils étudient ensuite en détail la procédure de fabrication législative mise en oeuvre, l'implémentation des textes votés, et évaluent les résultats de l'opération. Le constat est alors accablant. Derrière l'annonce, la plupart des réformes annoncées comme faites ont été vidées de leur signification au cours du processus législatif, et il arrive même que la nouvelle architecture soit plus couteuse que la précédente qu'elle était censée rationaliser.
Cahuc et Zilberberg illustrent leur propos avec :
la réforme de la formation professionnelle, complexifiée au lieu d'être simplifiée
la taxe carbone, censurée car inégalitaire et inefficace, et renvoyée aux calendes grecques
la réforme de la Carte Familles Nombreuses de la SNCF, plus lourde pour les finances publiques après réforme qu'avant
la réforme des régimes spéciaux de retraite, non évaluée financièrement, et vraisemblablement très couteuse
la modernisation du marché du travail, qui a créé une manière pour les entreprises de se séparer de leurs salariés au frais des organismes sociaux sans le fluidifier
la réforme de la représentation syndicale, qui a surtout conforté les deux syndicats majoritaires que sont la CGT et la CFDT
la libéralisation des professions règlementées, à partir de l'exemple des taxis, qui a abouti à renforcer leur position
la réforme des règles concernant la grande distribution, censée intensifier la concurrence pour augmenter le pouvoir d'achat et qui a accouché d'une souris
la défiscalisation des heures supplémentaires dont l'impact majeur a été de déclarer en franchise d'impôt des hs faites auparavant sous le manteau
le rSa, complexe, sous financé, inefficace en tant qu'incitation à la reprise d'emploi
Pour les auteurs, la stratégie sarkozyste qu'ils nomment
étouffement / conciliation n'a pas fonctionné. L'
étouffement, ouverture simultanée de très nombreux chantiers pour saturer les partenaires sociaux et en faire aboutir un maximum, rendait possible la
conciliation, concessions faites dans les cas difficiles (et camouflées au milieu du grand nombre de fers au feu) pour éviter de bloquer l'ensemble du processus. Mais les nombreuses réformes présentées en un très court laps de temps ont souffert d'impréparation et de délais de négociation trop courts, du fait de la volonté d'afficher des résultats rapides. Ceci a permis aux lobbys, experts, élus locaux de se mobiliser pour contrer ce qui, dans ces projets, heurtait leurs intérêts, et d'utiliser leurs compétences spécialisées dans les négociations. Et de ce fait, pour passer quand même, le gouvernement a du, la plupart du temps, concéder des avantages nouveaux au groupes qui détenaient déjà des rentes de situation. L'efficacité économique n'y a pas gagné.
Pour sortir de cet immobilisme français, Cahuc et Zilberberg proposent en conclusion une réforme de la représentation syndicale pour la rendre vraiment représentative du monde du travail ainsi qu'une vaste rénovation de la vie politique commençant par l'interdiction du cumul des mandats, seule à même de professionnaliser les parlementaires.
Je crois que ce livre peut être lu avec autant de plaisir et de gain par un sarkozyste, un anti-sarkozyste, un indifférent. C'est, je pense, la marque des grands livres.
Signalons que l'article économique (donc plus complexe que le chapitre du livre, n'ayez pas peur) se trouve en téléchargement
ici (
courtesy of Le Figaro qui est fait-play sur le coup).
Les réformes ratées du président Sarkozy, Pierre Cahuc, André Zilberberg
Commentaires
C'est rigolo les chansons de manif, ce sont les mêmes en Belgique.
Ils ne parlent pas d'Hadopi dans ce livre ?
> ce sont les mêmes en Belgique.
C'est con, si seulement vous aviez un gouvernement, en Belgique, vous pourriez manifester...
;o)