Critique de TiberiXIl y a quelque temps je vous donnais un avis enthousiaste de ma lecture de "The City and The City" de China Miéville. Depuis la critique internationale m'a donné raison (oui, à moi spécifiquement) en lui attribuant les prix Hugo, Clarke et British SF. Rien de moins. L'origine de cet enthousiasme partagé est je crois largement due à la découverte d'un univers dégagé des habituels poncifs, et aussi cohérent qu'une horloge fabriquée par un maître horloger suisse paranoïaque. Miam donc.
Dans le même veine d'enthousiasme je propose à vos papilles littéraires : CLEER.
Pour être parfaitement honnête je me suis demandé longuement comment vous présenter cet objet. Les auteurs parlent eux-mêmes de fantaisie corporate. Que dire ? C'est parfaitement exact, mais aussi très trompeur sur la qualité essentielle de ce roman. Le côté corporate est a priori peu engageant : CLEER décrit en six tableaux au format de nouvelles, l'ascension de deux cadres redoutablement aiguisés, dans l'univers d'une grande multinationale à la culture vaguement sectaire. Le côté fantaisie quant à lui, est peu marqué : on découvre rapidement que l'un des deux cadres suit un programme de formation interne, qui a pour but de développer ses capacités de perception holistique. Mais ce n'est que le moteur d'allumage de ce dispositif littéraire complexe et élégant.
Prenons donc une autre approche pour essayer de vous faire percevoir l'objet. Une citation :
"Personne ne vient travailler chez nous par hasard. Nous devons calculer chaque rencontre, établir un chemin de signes. Des indications invisibles, aux frontières de la psyché, des indications discrètes pour ceux qui s'attirent, s'agrègent. La lumière attire la lumière. Vous êtes parmi nous parce que votre regard a su trancher, séparer le lourd du léger, ce qui est en haut de ce qui est en bas. Vous savez distinguer les traits, les visages, même dissimulés par la matière."
Je pourrais faire plus long, car la langue est belle, concise et remarquablement engageante. Et justement le ressort de ce roman est contenu sous des apparences lisses et très cadrées (le côté corporate). Au fur et à mesure de l'initiation de nos deux cadres, les apparences vont pas à pas se dissoudre et nous aspirer dans un ailleurs qui est celui des Anges. Un ailleurs terrible et ambiguë.
CLEER m'a beaucoup fait penser à ce qu'aurait pu écrire un Jean Ray contemporain de l'iPad. Au départ une chronique assez banale d'un quotidien que nous connaissons ou imaginons tous. Et puis, sans que l'on sache réellement définir quand cela est arrivé, on réalise que l’on a débouché depuis plusieurs chapitres dans un étrange radical. Quelque chose de tout aussi passionnant qu'Ubik, mais de beaucoup plus fin (et c'est un fanboy absolu de P.K. Dick qui écrit).
En résumé, ce roman est beau, subtil et progresse comme un boléro de Ravel assez dérangeant. Bref, à savourer de toute urgence.
Cleer, L.L. KloetzerL'avis d'EfelleL'avis de Cédric Jeanneret
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