The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

If the Kids are United


Rousseau écrivit dans le "Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes" :
Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : "Ceci est à moi" et trouva assez de gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères, que d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux ou comblant les fossés, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur, vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne."

Environ un siècle plus tard, Proudhon écrivait plus sobrement :
La propriété, c'est le vol

Cory Doctorow a fait sienne ces deux idées. Militant très actif de l'Open Internet et du Creative Commons, il a écrit de nombreux textes, déjà chroniqués sur ce blog. Son dernier roman, "For the win", poursuit son travail de conviction.
Dans un futur très proche, les jeux online ont généré des activités parasitaires à une échelle inconnue aujourd'hui. Les chinese farmers, marginaux aujourd'hui, sont devenus, dans le monde décrit par Doctorow, les tenants d'une véritable activité économique et financière (j'insiste sur les deux termes, j'y reviendrai). Sur le modèle du développement de la zone indo-chinoise (bas salaires, conditions de travail inhumaines, exploitation, distorsion du taux de change) se greffe une activité de production de biens virtuels destinés à des clients occidentaux. Doctorow part d'une activité existante et la grossit jusqu'à l'absurde, faisant de ses jeunes héros les ouvriers d'usine des biens de la réalité virtuelle, comme leurs parents le sont pour les biens matériels. Les plus débrouillards de ces ouvriers vont s'organiser, en dépit de leur éloignement géographique, créer un syndicat virtuel, et lutter pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
Dans une approche résolument marxiste, Doctorow dépeint des jeunes gens qui découvrent progressivement que le statut d'exploités n'est pas inscrit dans leurs gènes, qu'il n'y a pas de justification rationnelle aux super-profits, que seule la lutte organisée peut avoir un effet sur le système, et qu'il faut accepter des sacrifices importants en vies humaines pour espérer le faire changer (à fortiori quand une partie du système se trouve dans la République Populaire de Chine, pays peu réputé pour son approche démocratique et sociale).
Toujours didactique, Docotorow décrit avec forces détails les sociétés asiatiques, inégalitaires, brutales, et quasi mafieuses, dans lesquelles prospère ce qu'on appelle pudiquement, en économie internationale, la sous-traitance internationale liée à la Division Internationale du Travail. Il interlace son récit d'explications érudites et pourtant très compréhensibles sur les inégalités économiques qui sous-tendant ce marché, ainsi que sur les mécanismes financiers qu'il y imagine. Et cet aspect est l'illustration superbe de la créativité de l'auteur. En effet, Doctorow postule que l'or et les biens virtuels vont faire l'objet d'une spéculation financière internationale. Et très objectivement il n'y a aucune raison que ça n'arrive pas, la valeur d'une chose sur le marché n'étant soutenue que par la croyance qu'a le marché dans la valeur de la chose. Il explique donc les mécanismes d'arbitrage financiers, les notions de valeur fondamentale, la création et la valorisation de produits dérivés de plus en plus complexes, les fluctuations courtes et longues du marché, etc... Il explique les chaines de Ponzi (Hello, Bernie !). Il explique comment on peut frauder dans un jeu informatique où tout devrait être sous contrôle des serveurs. Il explique enfin la théorie des coûts de transaction de Coase et l'utilise comme argument pour affirmer qu'Internet, en permettant à tous les humains et à tous les travailleurs de se coordonner instantanément et sans coût, est un outil de rééquilibrage du rapport de force entre les prolétaires et les firmes dans le monde entier. C'est à cette échelle, planétaire, que doivent se produire les luttes, tant il est vrai que dans une approche marxiste la révolution ne peut être que mondiale car le capital est mobile. Et tout ceci dans un langage très compréhensible, je le répète. Doctorow rend le lecteur intelligent et lui donne le sentiment qu'il est intelligent.
La lutte des farmers se déploiera dans trois mondes, aucun plus important que l'autre : piquets de grève dans la réalité, blocage du gold farming dans la virtualité, attaque financière pour provoquer un krach des produits dérivés. Virtuel, réel, économie matérielle, et économie virtuelle, forment un tout consubstantiel et seuls les vieux syndicalistes de la vieille économie ne le voient pas, au début du moins.
Après ce concert de louanges, justifiées sans exception, une petite critique. "For the win" est moins excitant que Little Brother, la faute à des chapitres trop courts, à des allers-retours narratifs parfois un peu pénibles, à une accumulation de détails qui oublie parfois d'aller à l'essentiel. On aimerait plus de rythme. Néanmoins, même si je n'ai pas fusé dans les pages comme pour son précédent opus, "For the win" est un roman de grande qualité, intelligent, sensible, et instructif.
For the win, Cory Doctorow (gratuit en dl sur son site)

L'avis de Un lecteur

L'avis d'Alias

Commentaires

Cédric Ferrand a dit…
... they will never be defeated (ça nous ne rajeunit pas)

À noter que Cory Doctorow offre en plus des exemplaires gratuits de For the win aux professeurs, libraires et travailleurs sociaux qui en font la demande. Il avait déjà fait ça avec ses livres précédents.

Ça fait du bien de voir un auteur qui est raccord avec les idées qu'il met en scène dans ses bouquins.

Merci pour ton billet qui me confirme que FTW aura sa place dans ma PAL.
Gromovar a dit…
Je suis en train de devenir le plus grand fan français du monsieur :-)
Efelle a dit…
Décidément, Doctorow devient incontournable...
Gromovar a dit…
Nooooon... J'en parle, c'est juste pour parler ;-)
Guillmot a dit…
J'avoue, je ne connais ni d'Adam ni d'Ève. Va falloir que je suive ça de plus près...
Gromovar a dit…
L'ennui avec Doctorow est que le mieux n'est pas dispo en france.
Aigo a dit…
groumph... roman pédagogique, marxiste - moralisateur? -- pas mon genre, à priori.
Gromovar a dit…
Plus joyeux que moralisateur, avec notamment un personnage exceptionnel de dissidente chinoise. Néanmoins, c'est toi qui vois.
Munin a dit…
Le thème a l'air proche de Anda's Game, que je viens de finir (sur tes conseils, à la suite de la lecture de ton billet sur Overclocked) ?

Lecture du moment : "I, Robot"
Gromovar a dit…
C'est effectivement proche. Mais le propos est bien plus politique.
Un lecteur a dit…
Je viens de le finir et de le "ficher". J'ai adoré.
Gromovar a dit…
SI tu postes, linke.
Un lecteur a dit…
Oh, mon message est quand même beaucoup moins construit que ta critique.
http://lectureslibres.blogspot.com/2010/07/proletaires-virtuels-unissez-vous.html
Alias a dit…
Si vous êtes le plus grand fan français de Doctorow, je vais devoir me rabattre sur mon passeport à croix blanche et me proclamer le plus grand fan suisse du monsieur.

Tout ceci pour dire que j'ai également chroniqué "For the Win" sur mon blog (et tous ses autres bouquins, d'ailleurs).

http://alias.codiferes.net/wordpress/?p=2244
Gromovar a dit…
OK pour la Suisse. Je linke ton post.