The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Puérile résistance


Fin des années 80. Le SIDA est une maladie à l'issue fatale, d'apparition relativement récente ; aucun vaccin n'existe, ni aucun traitement efficace. Le SIDA inquiète, d'autant que son mode de transmission essentiellement sexuel éveille des fantasmes de pureté et de punition divine. Dieu aurait puni les tenants de la révolution sexuelle, homosexuels en tête, et les drogués. Pour une frange réactionnaire de la population, cette épidémie serait presque une bonne nouvelle. On peut à l'époque lire et entendre assez facilement quantité d'inepties pontifiantes sur le sujet. Et, comme il se doit, Jean-Marie Le Pen en profite pour s'illustrer en affirmant, en 1987, dans une émission politique grand public :
Les sidaïques, en respirant du virus par tous les pores, mettent en cause l'équilibre de la Nation. (...) Le sidaïque, (...) il faut bien le dire, est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C'est une espèce de lépreux, si vous voulez.
Il proposera aussi la création de sidatoriums, dans lesquels regrouper les séropositifs, et sans doute deux ou trois autres imbécillités oubliées depuis.
Deux auteurs, Behe et Toff, s'indignent à juste titre et commencent par sortir un one-shot en 1989 intitulé "Pêché mortel". Quelques années plus tard, 3 autre volumes sortiront qui lui feront suite, et le tout est aujourd'hui réédité sous forme d'intégrale.
220 pages pour 15 euros, "Pêché mortel" est une vraie bonne affaire. L'histoire est prenante, tortueuse à souhait, remplie de vieux secrets enfouis et de personnages troubles comme dans les récits véridiques de la Résistance auxquels il est d'ailleurs fait allusion. Même si je ne trouve pas le dessin superbe, trop brouillon et pisseusement colorisé, la lecture de cet album a été agréable.
Alors pourquoi ce titre de "Puérile résistance" ?
Béhé et Toff, tout à leur indignation vertueuse, commettent imho la faute de goût de produire une œuvre trop ouvertement militante, ce qui l'alourdit de maniérismes et de clichés qui prêtent à sourire. Entre les discours enflammés sur les droits de l'homme, le VIH renommé (œuvre à clé, mais à clé facile pour être sûr de ne pas rater la cible) VRH, l'ami martyr qui est gauchiste, les méchants qui sont bien entendu des fascistes et qu'on appelle des "fachos" parce que ça fait vraiment cool, les "fachos" qui adorent Jeanne d'Arc et qui sont néanmoins des dépravés, l'utopie mondiale qui suit la dictature et qui s'appelle l'Organisation Mondiale pour la Démocratie, j'ai eu l'impression de recevoir une longue perfusion de bien-pensance, et je ne peux m'empêcher de considérer cette implication très émotive comme profondément puérile.
Et pourtant l'album a de vraies qualités. Alors un conseil, Béhé et Toff, pour votre prochaine œuvre, buvez un coup, refroidissez, laissez votre pouls se calmer, et souvenez-vous que l'art pour l'art est décidément la plus belle des choses.
Pêché mortel, L'intégrale, Béhé, Toff

Commentaires

Anudar a dit…
Ah oui, une série que j'avais lue il y a quelques années... Il y a de vraies bonnes idées là-dedans. Le dessin fait très "années 1980", par contre. Et c'est parfois un peu confus. Je n'ai pas un souvenir très précis : la dictature était en France, mais pourquoi donc est-ce que la révolution en France a débouché sur un gouvernement mondial démocratique ? Ou bien la dictature s'était-elle étendue après à d'autres pays ? Je crois que l'un des paramilitaires dans la BD n'était pas français mais allemand, par exemple...
Dans le même style, il y a une nouvelle dans le recueil "Les Années Fléaux" de Norman Spinrad où l'auteur imagine un monde rongé par le VIH, vingt ans après. Je te la recommande. Ainsi que tout le recueil en fait.
Gromovar a dit…
Ok pour les idées. La réalisation par contre...Ça fait boy scout. Mais c'est sûrement juste l'interprétation de mon mauvais fond ;-)
On ne sait pas pourquoi la Révolution française a débouché sur la paix mondiale.
Il y a bien un paramilitaire qui a l'accent allemand, mais comme ça se passe à Strasbourg c'est peut-être l'accent alsacien en fait.
Et je jette un œil dès que possible au Spinrad. Tu as lu "Rêve de Fer" ?
Anudar a dit…
Oui, c'est même l'un des premiers livres que j'aie lu en anglais :) !
Efelle a dit…
Je plussoie Anudar concernant Les années fléaux de Spinrad.

http://efelle.canalblog.com/archives/2008/09/05/10476961.html
Nolt a dit…
Je suis tombé sur cette réédition il y a peu de temps. Le sujet avait l'air sympa mais l'aspect graphique m'avait un peu refroidi (question de goût, sans plus).

Par contre, ce que tu cites en début d'article est assez ahurissant. En même temps, ce n'est guère étonnant d'un Le Pen qui a fondé sa carrière sur l'outrance et l'insulte. Il n'a jamais, à aucun moment, ambitionné de réellement peser sur la politique du pays. Tout comme il n'a jamais été un patriote, mais plutôt un sale type, arriviste et prêt à tout pour nuire plus que construire.

Ceci dit, je comprends tout à fait ta réaction face à un politiquement correct un peu facile. Combien de fois, dans les comics, avons-nous eu droit aux sempiternelles sentences sur le danger fasciste ?
Cette envie de buter Hitler est certes louable, mais elle aurait eu plus de panache quelques dizaines d'années plus tôt. Trop d'artistes se découvrent, après coup, une position bien confortable d'apprenti-Chaplin.

D'ailleurs, si l'absurdité, la violence et l'horreur des ultra-droites sont depuis longtemps source d'inspiration pour nombre de scénaristes ou romanciers, peu osent évoquer des faits moins à la mode (le régime soviétique est le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité) ou trop récents et risqués pour être "dignes d'intérêt" (la menace actuelle sur les libertés est plus à chercher du côté des intégristes islamiques que des nazis, ne serait-ce que parce que les nazis... n'existent plus).
;o)

Un bon article en tout cas, comme d'hab.
Gromovar a dit…
@Néault : Rien n'est plus beau en effet que les résistants de la 25ème heure ;-)
Joseph Béhé a dit…
ce forum improvisé me permet d'apporter quelques précisions à cet article.

D'abord merci pour les compliments sur la narration et le scénario et merci également pour les critiques avec lesquelles je suis aussi globalement d'accord.
Le tome 1 a été écrit en 85 à une époque où finalement l'on savait peu de choses sur le sida. Avec Toff qui était alors étudiant en neurobiologie, nous n'avions pas 25 ans et c'est avec une candide stupeur que nous avions pris conscience qu'une maladie contagieuse pouvait faire ressurgir des stigmatisations tout droit sorti des années 30. Le pari politique sur la peur était tout nouveau pour nous (il est banal aujourd'hui).

J'ai grandi à moins de 10 km du camp du Struthof et à peine 17 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. (je rappelle pour comparaison que Mitterrand est arrivé au pouvoir il y a déjà 30 ans). Juste pour re-contextualiser nos influences.

Le tome 1 est très manichéen, je ne cherche pas à le nier et la suite essaie, comme vous l'avez souligné dans votre critique "des personnages troubles comme dans les récits véridiques de la Résistance"
Ce qui à la relecture 15/20 ans après écriture me parait rester pertinent.

Pour contrebalancer les inévitables poncifs de ce récit écrit dans notre jeunesse, nous avons demandé à un psychiatre militant bien actuel d'en écrire la préface. Il rappelle fort à propos que la seule "action" contre l'extrême droite qui vaille est de traquer autour de soi les signes modernes de la discrimination, de la ségrégation ou de la stigmatisation.
Il parle aussi de la soumission du corps médical au pouvoir et ce problème est des plus actuel aussi.

voilà, je ne cherche pas à vous convaincre de quoi que ce soit. Je suis très heureux que ces 4 albums aient été re-publiés sous cette forme.
Et je vous remercie de vous y intéresser.
Somme toute, c'est un témoignage sur la fin des années 80. (et dans le lot de ce qui a été publié à cette époque, nous n'avons pas trop à en rougir)
Gromovar a dit…
Je vous remercie de ces éclairages constructifs et courtois.
J'avais une vingtaine d'années à l'époque et je me souviens bien des inepties qui circulaient sur la maladie. Je peux donc comprendre qu'on ait eu envie de s'exprimer contre la bêtise. La forme de cette expression m'ennuie vraiment, mais la ton de votre commentaire dit bien la droiture de vos intentions.
Cordialement.