Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Déclin et chute


J'ai volontairement choisi cette couverture pour montrer qu'"Earth abides" est un roman écrit il y a longtemps, précisément en 1949. Traduit immédiatement en français et publié sous le titre incongru de "Un pont sur l'abime", il est ressorti en 1980 dans la collection "Ailleurs et demain" sous son véritable titre "La Terre demeure". Depuis, plus rien. C'est d'autant plus étonnant que c'est un ultra classique dans le monde anglo-saxon, souvent comparé par son importance à "1984", ce qui est imho un peu exagéré.
Dans "Earth abides", l'Humanité est presque totalement éradiquée par une mystérieuse maladie. Ish, jeune géologue et un des rares survivants, rassemble autour de lui quelques autres miraculés, non loin de San Francisco, et, ensemble, ils forment une petite tribu à laquelle de nombreux enfants viennent rapidement s'ajouter.
George R. Stewart aborde de nombreux thèmes avec une grande sensibilité, et c'est ce qui fait la force de ce roman, même 60 ans après. L'auteur décrit explicitement la dispartition progressive des constructions humaines et la réoccupation du terrain par des éléments naturels. Il est peut-être le premier à avoir montré le caractère profondément artificiel et en survie de nos plantes et de nos animaux, anticipant le Fourastié de "Pourquoi nous travailllons".
La nouvelle "société" vivra selon de nouvelles règles et créera une nouvelle culture, ceci dès l'origine. Les survivants profitent de la catastrophe pour se débarasser des oripeaux du monde ancien. Ainsi Ish forme un couple avec Em qui est métisse, ce qui en 1949 est non seulement rarissime mais même illégal dans certains Etats, alors qu'Ezra forme une famille bigame avec deux femmes consentantes. De même, la religion, capitale pour des américains, est rapidement délaissée. Aucune force politique centralisée n'est créée, la petite taille du groupe rendant inutile une telle spécialisation ; seul un conseil informel se réunit de temps en temps (dont le seul acte politique du livre sera le vote de l'élimination d'un étranger menaçant pour le groupe). Un calendrier nouveau est adopté, avec la catastrophe comme origine, tournant la page de l'ancien temps.
Alors que la Nature reprend la place que l'Homme lui avait dérobée, les survivants du désastre vivront encore pendant de longues années en puisant dans les restes de la civilisation comme des charognards. C'est la voie du souvenir et de la facilité, et elle est empruntée naturellement par les survivants puis par leurs enfants. Progressivement les stocks s'épuiseront, moins par prélèvements, proportionnellement insignifiants, que par obsolescence et corruption, et il deviendra nécessaire de produire. Ish aura rêvé toute sa vie de recréer une civilisation technicienne. Il n'y sera pas parvenu et ses descendants seront des chasseurs-cueuilleurs dignes du Néolithique utilisant parfois les restes de l'ancien monde comme des ressources naturelles. Stewart traite ici de manière convaincante la question de la masse critique de population nécessaire au développement et à la division du travail. Il montre aussi comment ces micro sociétés sont vulnérables à la moindre épidémie ou catastrophe naturelle et/ou climatique, et susceptibles de disparaitre sans laisser de trace à tout moment.
Stewart montre aussi de manière intelligente comment naissent les mythes dans une société ignorante. Ish et son marteau sont la meilleure approximation d'un dieu qui existe dans la petite société. Et, devenu bien vieux, Ish est écouté comme un oracle par des ignorants dont il avait rêvé de faire des hommes civilisés. La civilisation s'est éteinte. L'Humanité devra repartir de zéro et tout réinventer comme si rien n'avait existé. Toute sa vie Ish a préservé la bibliothèque de l'Université avant de réaliser à la fin quelle absurdité c'était, tant les concepts sont devenus inabordables, a fortiori dans une population dont chaque nouveau membre est analphabète.
Ce qui se produit dans "Earth abides" est le retour à la barbarie observé après la chute des grands empires. Il n'y a aucune raison de croire que nous serions plus efficace si une telle catastrophe survenait aujourd'hui.
"Earth abides" est un beau roman qui aborde intelligemment des questions essentielles. Il peut toujours être lu avec profit et plaisir. Deux points sur lesquels le roman accuse son âge : Ish porte sans cesse des jugements sur les autres en terme de valeur intellectuelle, valeur morale, utilité sociale, qu'aucun auteur contemporain vacciné au politiquement correct ne s'autoriserait aujourd'hui, et la disparition de l'Humanité s'est faite en bon ordre, sans destruction, ni panique, ce qui est surement le signe d'une société plus policée que la notre, et on a du mal à croire que les humains feraient preuve d'une telle décence face à l'extinction, ce n'est pas l'option choisie dans The Stand pour ne prendre que cet exemple.
Earth abides, trad. LaTerre demeure, George R. Stewart

Commentaires

Efelle a dit…
Bilan mitigé finalement si je te suis bien. Le côté policé dont tu parle à la fin me fait un peu reculé.

Ai je tort ?
Gromovar a dit…
C'est vraiment un bon livre. Mais certains éléments, le policeage par exemple, ne sont pas très réalistes quand on les compare à ce qui s'est écrit depuis. A lire, ou pas, comme un classique, avec ce que ça comporte de qualités et de défauts, un peu comme tu regarderais un vieux film en noir et blanc en sachant que depuis on a inventé la couleur.
Tigger Lilly a dit…
Je suis hallucinée par le nombre de classiques qui sont laissés à l'abandon.

Il me semble qu'une maison d'éditions L'arbre vengeur essaye de rééditer des "vieux trucs" qui gagnent à être lus. Il faudrait peut être leur proposer ce titre ^^
Gromovar a dit…
Voui, voui, clairement. Sur ce thême ActuSF démarre une nouvelle collection "Perles d'épice" avec des inédits et des non-réédités. Pour commencer, du Silverberg et du George RR Martin. Les 50 premiers à commander recevront un dédicacé de Silverberg. C'est évidemment le plus beau jour de ma vie et je viens évidemment de passer commande. Le mien étant réservé vous pouvez y aller maintenant ;-)
Guillmot a dit…
Rien à voir mais j'attends avec impatience ta chronique de Frère Kalkin de Pierre Bordage !
Gromovar a dit…
@Guillaume44 : Marrant que tu dises ça parce que je l'ai justement commencé hier.
Laurent DW a dit…
Tiens ! voila un livre qui ne m'est pas inconnu. Je crois bien l'avoir vu quelque-part, derrière une pile de ma montagne de livres de SF.
si je ne dit pas de bêtises, j'avais acheté ce bouquin au Canada, à l'époque où je travaillais là-bas.
Mais pour être franc, je ne l'ai jamais lu. Cette article est donc le bienvenu.
Gromovar a dit…
Pour un amateur de post-ap, ça fait partie des classiques. Il y en a un ou deux autres que je devrai lire prochainement.
Laurent DW a dit…
"Cet" article, au lieu de "cette". Grr !
TmbM a dit…
Je l'ai lu récemment et j'ai adoré. Un roman philosophique incroyablement lucide sur les fondements de la société.
Gromovar a dit…
Un très beau livre, c'est clair.