The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Fascisme laitier


Vingt ans après "L'amour en plus" qui traitait d'historique et magistrale façon la pseudo-naturalité de l'instinct maternel, Elisabeth Badinter revient sur la question avec un essai/pamphlet intitulé "Le conflit".
L'ouvrage dresse le constat alarmé du retour d'une forme de naturalisme dans la prescription sociale concernant la maternité. Quarante ans après les grandes luttes féministes, et alors qu'elle est encore loin d'être effective, l'égalité des sexes est attaquée par le versant de la maternité. Le rôle de mère entre en conflit avec la réalisation de soi (professionnelle ou autre), et la norme sociale (portée par les pédiatres, les psychologues, les mères et les copines) pose la mère comme prioritaire. Comment ce rôle s'est-il hypertrophié alors qu'il aurait logiquement du décroitre ?
Quand les femmes ont acquis un meilleur contrôle de leur fécondité grâce à la contraception et à l'avortement, on a pu penser que le fondement essentiel de l'inégalité des sexes était passé sous contrôle. On sait aujourd'hui que c'était faux. Le mouvement général, et récent, vers le naturalisme et la précaution, dans les sociétés occidentales, valorise l'image d'une mère idéale, à l'écoute permanente de son enfant, le gardant près d'elle durant les premières années de sa vie et lui donnant le sein à volonté. Difficile dans ces conditions d'avoir une autre activité, professionnelle ou militante. Et ce naturalisme bien pensant rend suspectes les femmes qui ne veulent pas d'enfants ou celles qui, stériles, font d'innombrables démarches médicales pour enfanter. Il rend indicible la déception de certaines mères ou leur absence de pulsion maternante. Pourquoi aller contre les édits de la Nature ? Comment, même, est-ce possible ? Rousseau est de retour.
Porté par une association internationale très active et influente, la Leche League (au discours ultra-conservateur, parfois à la limite du sectarisme), l'allaitement maternel est au coeur de ce retour de la "nature féminine". Présenté comme une panacée, il entre en conflit direct avec les autres modes d'épanouissement féminin. Il prescrit par ses contraintes propres la vie idéale de la mère idéale. Il fait de l'enfant un roi et de sa mère, pour quelques mois ou années, son esclave (je cite ici Edwige Antier, la très nunuche pédiatre de France Info et militante acharnée du naturalisme).
Or, dans la société individualiste et hédoniste qui est la notre, société mue par "la passion de soi" comme l'écrit Jean-Claude Kaufmann dans "L'invention de soi", la liberté individuelle est une valeur centrale. Pourquoi avoir des enfants alors, sachant qu'ils vont forcément limiter fortement la dite liberté ? (d'autant que l'élevage des enfants est encore largement assuré par les femmes en temps comme en effort). C'est que la socialisation lourde et de moins en moins implicite au désir d'enfant a bien fonctionné. De plus, dans notre société démocratique, l'enfant est un grand oeuvre à la portée de tous. On avait des enfants, comme sous-produit involontaire de la sexualité (voir à ce sujet le livre de Jared Diamond "Why is sex fun ?"), aujourd'hui on en "veut", comme on peut vouloir un objet de consommation (de fait une majorité des parents citent le plaisir attendu pour expliquer qu'ils "veuillent" un enfant), et parfois on les "fait" (le terme est explicite), traces de moi que je laisserai à l'humanité, effondrée d'apprendre ma disparition.
Voila pourquoi on en "fait". Mais aujourd'hui de plus en plus de femmes dans les pays occidentaux choisissent de ne pas en "faire" (entre oublieuses et childfree militantes), évitant ainsi une négociation problématique entre vie de femme et vie de mère, et choisissant dans un répertoire élargi les voies de leur épanouissement.
Elisabeth Badinter réaffirme ainsi le caractère largement culturel de "l'instinct maternel", mais surtout elle met en garde les femmes contre un retour à plus d'inégalités justifié par une prétendue nature.

PS : Il n'y a qu'à lire et entendre les cris d'orfraie que suscitent ce livre pour être convaincu qu'Elisabeth Badinter a visé juste en s'attaquant à l'un des totems principaux de notre société.

Le conflit, Elisabeth Badinter

Commentaires

Tiberix a dit…
Tout cela se résout très facilement pour peu que l'on accepte de concilier en une seule passe toutes les incantations du moment : bonheur de l'enfant né + empreinte carbone + identité nationale = ligature des trompes et vasectomie (just in case) et adoption deux enfants chinois en bas âge, à qui l'on prendra soin d'apprendre la Marseillaise.

Comme dirait un Maître D' d'un établissement huppé britannique : "Et voilà !"
Gromovar a dit…
Haïtiens, ça irait ?
arutha a dit…
J'ai vu Elisabeth Badinter hier au journal de 13 heures de France 2. Elle a beaucoup insisté sur le fait que, ce qui la dérange le plus, c'est que le choix est retiré aux femmes en stigmatisant et culpabilisant celles qui n'ont pas choisi la norme imposée.
Lorsque ma fille est née, ma femme n'a pas souhaité allaiter (la rebelle). J'ai un excellent souvenir des nuits où je donnais le biberon à mon bébé. Vraiment. Et on voudrait enlever ça aux pères ?
Aujourd'hui je vais encore plus loin, puisque en tant que papa au foyer, je permets à mon épouse de se réaliser pleinement en temps que femme et pas seulement en tant que mère.
Oui je sais, je suis admirable :oD
Gromovar a dit…
@ arutha : Admirable, le mot est faible ;-)

Il me revient à la mémoire un prof de sociologie qui expliquait qu'après avoir chassé les prêtres de la normalisation de la vie privée, il faudrait très prochainement en chasser les psys et les magazines. Dont acte.
papa fredo a dit…
En même temps, l'allaitement est pas super bien vu dans certains milieux (provinciaux, modestes). Je l'ai vécu quand mon fils est né : ma femme qui avait choisi l'allaitement a subi les "ah bon tu l'allaites" ? et a tellement ramé pour tirer son lait au bureau dans de bonnes conditions qu'elle a fini par y renoncer. Voilà, chacun voit midi à sa porte : ça dépend à mon avis beaucoup du mileu. J'ai quand même tendance à être d'accord avec E. Badinter sur le fond. C'est peut-être parce que je suis moi aussi un de ces nouveaux pères qui fait le ménage et torche son gamin.
Sinon oui je confirme, les gosses c'est la fin de la liberté. C'est une autre vie. Bon à savoir avant d'en faire quand même.
arutha a dit…
Papa fredo j'imagine que Elisabeth Badinter serait elle aussi d'accord avec toi dans la mesure ou elle a vraiment insisté sur le fait que les femmes devraient avoir le choix. Une méthode ou l'autre. Etre mère ou ne pas l'être. Et ce, sans avoir à subir des regards lourds de sous-entendus, voire des propos culpabilisants.
gridou a dit…
Tu en parles très bien ! C'est concis et objectif, tout comme le livre lui-même
BLop a dit…
@Gromovar : je tombe sur cette chronique seulement aujourd'hui, grâce à ton billet sur Ad Noctum. Et je suis heureuse de la lire : moi aussi, j'ai lu Le conflit, alors que j'allais devenir mère. Tu résumes bien le propos. Cela nous donne une sacrée leçon. Ce livre m'a permis de me sentir moins coupable et de commencer à lutter contre ce naturalisme insidieux si bien décrit par Elisabeth Badinter.
@ Arutha : mon homme aussi, il a adoré donner les biberons...
Gromovar a dit…
Content de voir que nous partageons un avis positif sur ce très bon livre.
Et tant mieux s'il t'a fait du bien.