Sur les conseils avisés de Cédric Ferrand je me suis récemment procuré "
La lamentation du prépuce" de Shalom Auslander. Bien m'en a pris.
Shalom est un juif new-yorkais élevé dans une famille yiddish ultra-orthodoxe. On lui a enseigné à craindre Dieu plus que tout, à organiser sa vie dans le seul but de Lui plaire, à Le remercier à tout propos, y compris pour les pires horreurs. Son premier fils va bientôt naître. Doit-il le faire circoncire ?
Dans ce milieu communautaire, que ne renierait pas Emile Durkheim, le contrôle social est extrême, les règles innombrables, la culpabilisation permanente. C'est dans ce type de milieu qu'on peut observer les formes de suicide fataliste dus à des excès de régulation que décrit le père de la sociologie dans son ouvrage dédié "Le suicide" ; la seule liberté qui reste étant celle d'user, voire d'abuser, de son propre corps. C'est l'option que choisit l'auteur, un long suicide par procuration, par Dieu interposé. Violant toutes les règles de la
cacherout, il passe sa vie à provoquer Dieu et le met au défi de répondre. Dieu étant singulièrement silencieux, Auslander vit dans un délire paranoïaque permanent, dans l'attente de la punition divine à venir. Car, il en est sûr, celle-ci viendra forcément, Dieu attend son heure, pour ajouter à la souffrance l'espoir brisé d'y avoir échappé.
L'art d'Auslander est de présenter sa biographie sur un ton ironique, mordant, drôle à mourir de rire. Il entremêle présent et passé, ses interrogations (forcément angoissées) sur l'accouchement de sa femme et la meilleure manière de traiter le prépuce de son fils (il voit d'ailleurs comme une preuve de l'ironie divine le sexe de son enfant ; une fille lui aurait évité tout dilemme), ses souvenirs d'enfant puis d'adolescent en révolte contre l'oppression d'une famille névrosée et d'une communauté authentiquement totalitaire. Sa guerre personnelle et permanente contre Dieu est l'occasion de multiples éclats de rire pour le lecteur. Sa capacité à blasphémer et à lutter contre sa socialisation primaire est revigorante. Même si, capable de lutter contre sa culture, il est incapable de s'en extraire et d'oublier Dieu une fois pour toute. Mais il est si difficile d'échapper à son histoire. Même Shalom a failli y succomber durant un (long) moment de faiblesse que je vous livre : "
Au cours des mois suivants, je suis devenu un juif d'une piété extraordinaire, pour la raison la plus extraordinairement ordinaire : je me sentais aimé. Mes rabbins m'accueillaient dans leur famille. Il y avait des règles, bien sûr, mais je les comprenais, et quand elles m'échappaient il y avait toujours un livre de règlements que je pouvais consulter...Il a même été suggéré que la main de Malkie, la belle et chaste fille du principal rabbin de l'école, pourrait m'être accordée. En échange, il me suffisait de porter une yarmoulka, et un feutre noir par-dessus, et les phylactères, et les tsitsit, de me laisser pousser la barbe et les papillotes, de garder le reste de mes cheveux très courts, d'étudier le Talmud, la Torah, les Prophètes et les Psaumes, d'observer le Shabbat et la cacherout, d'éviter les gros mots, d'arrêter de lire des livres profanes, de ne plus fréquenter mes anciens amis, de ne pas parler aux filles et de promettre d'aller m'installer à Jérusalem. Sur le moment, cela m'a paru un marché honnête."
Un vrai bon livre à lire, un livre rassurant. Si le pendant musulman existe, je suis preneur.
La lamentation du prépuce, Shalom Auslander
L'avis de Cédric Ferrand
L'avis d'Efelle
Commentaires
Rien que le catholicisme possède de nombreuses déclinaisons (et encore plus de manières de les vivre au quotidien).
Le fait qu'une religion devienne déviante (qu'elle cesse d'être une sorte de support spirituel pour rentrer abusivement dans des domaines où elle n'a rien à faire aujourd'hui) est aussi bien lié à la religion même, à son enseignement, qu'à l'entourage, l'époque, la pression familiale, et cetera.
Sans être théologien non plus, je dirais que la religion, en Occident, a longtemps joué un rôle de carcan social important et nécessaire. Aujourd'hui, elle est plutôt majoritairement (ou plus exactement médiatiquement) considérée comme une porte vers un parcours spirituel individuel.
L'on retrouve cette évolution à tous les niveaux, que l'on parle de pays ou de familles.
Il existe encore aujourd'hui un catholicisme étouffant et bien évidemment une version moderne (voire même laïque paradoxalement). Mais ce n'est pas réellement lié à la religion en elle-même. Plutôt à l'évolution de ceux qui la pratiquent et la remettent ou non en question.
En seulement deux générations, rien qu'au sein de ma propre famille, je constate la différence d'approche. Ma grand-mère avait une approche très "premier degré" et craintive de la religion alors que, personnellement, j'en ai une approche plus rationnelle (ce qui n'exclut pas le spirituel).
Et cette différence, j'en suis persuadé, ne réside pas dans la religion (puisqu'elle est la même) mais dans l'évolution globale de la société (la famille, l'école, l'état, etc.) qui permet, en bien ou en mal parfois, de remettre en cause les fondements même d'une société, sans subir pour autant une crainte mystique.
Une sorte d'effet John Wayne du pauvre en quelque sorte. ;o)
Mais en tout cas, l'évolution de l'Islam actuel, même en France, va franchement vers plus de règles et de contrôle.
Il y a encore quelques années, jamais l'on n'aurait vu de femmes portant la burqa par exemple. Or, même ici en Moselle, ce n'est plus rare d'en rencontrer. Dans le genre "règle au quotidien", celle-ci me semble pas mal.
Et encore, perso je ne vois pas ça d'un mauvais oeil, j'adore les costumes de super-héros.
@Néault : Je fais partie de ces incroyants qui sont convaincus que toute religion est par essence totalitaire car convaincue de porter La Vérité.
Que le catholicisme se soit policé en Occident c'est un fait, mais ce n'est pas le cas dans toutes les parties du monde, ni dans toutes les religions (à ce propos, le "gentil bouddhisme" du "gentil Dalaï Lama" a maintenu le Tibet sous une oppression féodale dont le servage faisait partie).
Par contre, la religion en soi n'a rien de négatif ou totalitaire. C'est une somme de croyances et de règles. C'est nécessaire. La laïcité, en France, est un dogme extrêmement puissant et intolérant par exemple. Et parfaitement convaincu de porter également "la" Vérité (avec un incroyable entrisme de la part des athées qui, rappelons-le, colportent aussi une croyance et non des faits objectifs).
En fait, c'est une question de mode.
Il y a quelques années, le package de règles à faire passer dans la population était plus facilement adopté s'il revêtait l'apparence de la religion. Aujourd'hui, c'est l'inverse (ou alors il faut envelopper ça dans du New Age).
Mais le but technique est toujours identique et sera toujours nécessaire. Les dogmes politiques ou philosophiques ne sont pas moins convaincus de détenir leur vérité. Ils passent simplement mieux aujourd'hui parce que la rationalité a pris le pas sur la foi.
Je ne veux pas "défendre" la religion ou les religions, simplement je crois qu'il est utile de constater que les interdits ou les règles qu'elles véhiculaient sont repris (de manière cachée) par d'autres "packs" de prêt-à-penser.
La démocratie par exemple, ce concept ignoble qui vise à faire croire que n'importe qui peut donner son avis sur n'importe quoi, est un dogme.
C'est pas le pire hein, on est d'accord. Mais entre la dictature et l'ultra-populisme actuel, il existe une grande variété d'organisations sociales possibles qui ne sont même pas évoquées !!
Mettre sur le dos des religions tout le totalitarisme de la terre, c'est oublier que nos systèmes politiques le sont au moins tout autant (sur le fond s'entend).
ps : je suis également un "incroyant", sauf que j'étends mon pouvoir de "non croyance" à d'autres domaines que la seule existence de Dieu.
Quant à dire que le catholicisme est policé en occident. Mouais. Pour mémoire, il existe aux states un Musée créationniste qui prétend inculquer à ses visiteurs que tout s'est passé exactement comme il est dit dans la bible (Le monde créé en 6 jours, etc.).
une vidéo ici
"I was raised in a small ultra-Orthodox Jewish community in New York; picture a madrasa somewhere in Taliban Town, change the head coverings to yarmulkes, switch the Korans for Old Testaments and that's pretty much it. The book is about my life under the thumb of an abusive, belligerent God, and the long-term emotionally crippling effects the fundamentalism of my youth has had and continues to have upon me."
Le recueil "Attention Dieu méchant" est un peu en-dessous mais il contient quelques textes savoureux.