L'Ombre sur Innsmouth - Lovecraft illustré par Baranger

Comme deux fois déjà , je signale la sortie d'une adaptation de Lovecraft par François Baranger. Il s'agit cette fois de The Shadow over Innsmouth , ici traduit littéralement L'Ombre sur Innsmouth au lieu du plus traditionnel Le Cauchemar d'Innsmouth . Comme pour les deux adaptations précédentes, je ne vais pas chroniquer un texte connu et maintes fois résumé, analysé, décortiqué. Je te renvoie donc pour l'histoire, lecteur, à la fiche Wikipedia de la nouvelle, fort bien faite si ce n'est qu'à l'instant où j'écris ces mots la version de Baranger ne s'y trouve pas encore. Tu prendras plaisir, j'en suis sûr, à lire la belle préface de Sandy Petersen, notre maitre à tous, à parcourir les rues de la très décatie Innsmouth dans les pas de Robert Olmstead, à pénétrer dans la délabrée Pension Gilman, à contempler la façade du bâtiment abritant L'Ordre ésotérique de Dagon , à côtoyer des Marsh, trop de Marsh. Le "masque d'Innsmouth...

Don't trust anyone over 25...


...Fucking right.

"Little brother" est le livre le plus bandant que j'ai lu depuis longtemps. J'utilise volontairement ce terme pour exprimer le flux d'énergie brute qui émane du roman. Rien ne m'avait saisi et excité autant depuis le jour où j'ai dévoré "Neuromancien" de Gibson il y a vingt ans de ça.
"Little brother" est constitué de deux livres logiques, un roman et un pamphlet, entrelacés sous une couverture physique. Le roman raconte la résistance d'un groupe de jeunes hackers (n'est ce pas un pléonasme ?) de San Francisco à une mise en oeuvre extrème et brutale du Patriot Act par le DHS (Département de la Sécurité Intérieure). C'est une histoire crédible parce que proche de la réalité juridique du texte et de celle, psychologique, de la paranoïa qui a saisi une partie des américains après le 11/09 ; crédible aussi parce que jamais absurde dans les réalisations concrètes qui sont à la portée d'un groupe de jeunes californiens, et dotée d'une galerie de personnages assez étendue pour illustrer les diverses réactions possibles du citoyen lambda à une attaque terroriste. C'est une histoire passionante parce que partie intégrante d'un roman d'apprentissage écrit à la première personne.
Le pamphlet quant à lui est une charge virulente contre l'administration Bush (jamais nommé mais omniprésent), les pratiques d'utilisation de la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les prisons secrètes. Il est aussi un appel libertarien militant pour la liberté sur le net, le droit à la cryptographie et à la protection absolue des données personnelles et de la vie privée, écrit par un auteur qui est un militant actif de l'open source et de la fin du copyright.
Mais "Little brother" est plus que ça, qui serait déjà énorme et suffisant. C'est l'hommage vibrant d'un geek à la culture geek, une déclaration d'amour à la ville de San Francisco, superbement décrite, un hommage appuyé à la Constitution américaine et à la Déclaration des Droits comme éléments fondateurs de l'dentité américaine, un cours d'histoire de la résistance aux USA qui n'est pas sans évoquer par moment l'excellentissime "The Armageddon rag" de George R R Martin, un cours magistral et très accessible sur les réseaux informatiques, la cryptographie, la sécurité, les technologies RFID, la surveillance automatisée (toute personne approchant d'un circuit imprimé (c'est à dire tout le monde) devrait avoir lu ce livre).
On sort de ce livre distrait, instruit, galvanisé. On cherche vainement un défaut.

Maintenant deux jets de bile car j'ai mauvais fond.
Un : Dans "Entretien avec un vampire" Anne Rice explique que les vieux vampires créent des jeunes vampires afin de se raccrocher à l'esprit du temps. Cory Doctorow a saisi l'esprit du temps et en a fait une oeuvre d'art. Il est un jeune vampire. William Gibson, jeune vampire en son temps, est devenu vieux. Cory Doctorow rend William Gibson vieux. Là où le vieux maitre du cyberpunk s'est perdu dans des romans techno-marketo-mafio esthétisant et sans âme, Doctorow surfe sur la vague virtuelle avec la virtuosité d'un Beach Boy. Dans mon esprit ils sont le même auteur, l'un turgescent et l'autre flacide.
Deux : Sur des thèmes finalement proches, Grégoire Hervier a écrit "Zen city". La lecture des deux romans à peu de temps d'intervalle m'a permis de mesurer une fois encore le fossé qui sépare les auteurs français des américains dès qu'il s'agit de SF, même très soft. Les français ont peur de la démesure, peur de la folie qui emporte la dystopie vers la démonstration par l'absurde. Ils restent toujours au milieu du gué, et leurs romans sont de bons textes d'écolier. J'ajoute d'ailleurs une dernière remarque sur le gap culturel franco-US : dans le roman US c'est l'Etat qui est dangereux, dans le français c'est la multinationale (vision crypto-marxiste du monde quand tu nous tiens...)

Une dernière remarque : Si "Little brother" n'a pas le Hugo ou le Nebula cette année je m'en coupe une (Seems I'm horny today).

Read this or be square !

PS : J'ai oublié de dire que Cory Doctorow est l'auteur d'un superbe recueil de nouvelles : Overclocked.

Little brother, Cory Doctorow

L'avis de Cédric Jeanneret

L'avis d'Efelle

Commentaires

Munin a dit…
Bon ben voilà je l'ai acheté, comment faire autrement après une critique pareille ? Je ne le lirai pas tout de suite par contre, mais si ça ne me plaît pas tu te coupes l'autre ? :)
Gromovar a dit…
Deux, ça fait beaucoup quand même.
Anonyme a dit…
Oui mais si on est deux à l'acheter à cause de toi et à ne pas aimer ?
Ca vaudra peut être le coup de te faire la paire. :D

Même si personnellement je pense que cela me plaira...

Sinon sur le point deux de ton jet de bile : bof... Peut être parce que j'ai encore la tête dans le dernier roman de C Dufour.
Gromovar a dit…
Faudra bien que je finisse par le lire pour me faire une idée personnelle. Ayant été en immersion profonde dans le mouvement punk pendant plusieurs années, je suis très inquiet ; mais comme on dit aux enfants "Goute avant de dire que tu n'aimes pas".
Cedric Jeanneret a dit…
trois ! je l'ai commendé avant hier également, il a intérêt à être bien (mais bon il est nominé pour le prix Hugo, c'est que donc tout n'est pas perdu...)
Gromovar a dit…
Mes affaires s'arrangent alors ;-)
Munin a dit…
> mais bon il est nominé pour le prix Hugo, c'est que donc tout n'est pas perdu...

Sans vouloir faire d'awardophobie, je dirais que le lien de cause (il est nominé) à effet (il est bon) n'est pas prouvé. Le prix Hugo a déjà récompensé des romans moyens, voire de beaux étrons. (2004 : Paladin des Âmes)
Gromovar a dit…
C'est malheureusement vrai.
En revanche le prix Hugo est souvent dans le Zeitgeist (voir les Valentin de Majipoor et leur roi jongleur qu'il est difficile de lire sans rire aujourd'hui) et je trouve que Little Brother l'est aussi vraiment, dans le Zeitgeist jentends ;-)
voilà ! voilà ! encore un atricle qui va me pousser à la depense ! déjà que je viens de me ruiner chez les bouquinistes ! ( ces salauds ne mettent pas les prix sur la couverture ! )
bon, je le rajoute sur ma liste.
Cedric Jeanneret a dit…
je viens de terminer la lecture du bouquin (http://siku00.blogspot.com/2009/04/little-brother.html) et je dois dire que j'ai beaucoup apprécié. Merci de me l'avoir fait découvert.
Gromovar a dit…
Tant mieux. Et merci pour le feedback.
Efelle a dit…
Salut,
Je repasse avec ma paire de ciseaux...
Bon j'ai eu du mal à décrocher du bouquin ce week-end et je viens de le terminer au cours de mon trajet train/métro.
C'est excellent !
Je le chronique ce soir...

Don't trust anyone over 25 !
Gromovar a dit…
Content que ça t'ai plu.