La Chanson du zombie - Harlan Ellison

Et bien, clairement, si Harlan Ellison ( le gars ci-dessous avec l'exquise veste safran) était toujours vivant j'adorerais être pote avec lui. Surtout que dans ce volume, il a écrit avec des potes. Je ne peux en dire plus, mais ça viendra. Rien de plus. Sinon voici ce qui m'attend :

Se caresser dans le sens du poil


Et non, ce n'est pas un livre de charme dont il sera question ici, désolé !
"The myth of the rational voter" est un ouvrage théorique assez fascinant. Tous ceux qui s'intéressent aux sciences sociales sont toujours abasourdis par le fait que les connaissances accumulées dans ces domaines ne servent que peu à élaborer des politiques publiques. Comme l'écrivait Lautréamont, "c'est un miracle qui se renouvelle chaque jour et qui n'en est pas moins miraculeux". L'école du public choice, aux Etats-Unis, avait depuis longtemps une explication : le votant moyen est rationnellement ignorant, c'est à dire qu'il ne s'informe que peu sur les politiques publiques car l'information a un coût qu'il ne veut pas payer. Cette explication permettait de concilier la rationnalité absolue de l'homo economicus avec toutes les observations expérimentales qui montrent que l'électeur lambda est fondamentalement ignorant des questions politiques et surtout des effets prévisibles des politiques publiques entre lesquelles il va pourtant choisir. Mais, disent les tenants de cette école, ceci n'est pas bien grave car il suffit que quelques électeurs soient informés pour que les bonnes politiques émergent, car les votes absurdes, étant équiprobables, s'annulent mutuellement, et ce sont les citoyens informés qui choisissent in fine, et étant informés ils choisissent bien.
C'est à cette vision théorique que s'attaque Caplan. Pour lui, comme pour quantité de politologues mais peu d'économistes, la croyance politique est strictement de même nature que le croyance religieuse. Elle implique la foi, et cette dernière s'oppose à la volonté de connaître la vérité. On pourrait penser alors que les décisions politiques sont toujours irrationnelles car prises par des croyants, à l'opposé de la rationnalité économique. Or l'Histoire montre que ce n'est pas le cas et que même des croyants peuvent, à l'occasion, agir de manière rationnelle en allant à l'encontre de leurs convictions (les exemples concernant Staline, la génétique soviétique et la physique soviétique sont à cet égard très éclairants). Comment expliquer ce paradoxe ? Comment concilier les quatre biais identifiés de la vulgate économique (biais anti-marché, biais anti-étranger, biais anti-productiviste, et biais pessimiste) avec des actions économiques des acteurs qui sont plutôt rationnelles et non-biaisées. Pour trancher le noeud gordien, Caplan attribue un niveau de préférence aux convictions, comme à n'importe quel bien. Et il pose que l'acteur arbitre entre le coût psychologique du renoncement à ses convictions et le coût matériel qu'impose la renonciation à la rationnalité. C'est le résultat de cet arbitrage qui fait que l'acteur agit parfois en homo economicus et parfois en croyant. Il est donc, selon Caplan, rationnellement irrationnel, c'est à dire qu'il choisit rationnellement de ne pas savoir pour satisfaire sa préférence pour ses convictions et ainsi obtenir la satisfaction maximum (lisant ça, ça m'évoque tellement de situations réelles que les bras vont m'en tomber pour les cinq prochaines années).
Cette analyse s'applique à tous les domaines où l'acteur doit choisir une ligne d'action, mais dans le cas du vote, ses conséquences sont amplifiées. En effet le coût matériel qui sert à l'arbitrage est calculé en multipliant le coût de la mauvaise décision par la probabilité qu'elle a de survenir. Chaque voteur est fondé à penser que, sauf situation hautement improbable, il ne sera pas celui dont le seul bulletin fera basculer le vote. Le coût matériel de l'erreur est donc infinitésimal et la décision de conviction aura donc toutes les chances d'être celle qui est choisie. Chaque électeur ayant les mêmes motifs de penser la même chose, des politiques publiques privilégiant les quatre biais erronnés seront plus souvent choisies et mises en oeuvre avec des résultats sous-optimaux. Et l'impasse n'aura pas d'issue tant que les humains aimeront autant se caresser dans le sens du poil (moi-même je me caresse dans le sens du poil en encensant une vision assez élitiste, c'est dire comme c'est agréable).
The myth of the rational voter, Bryan Caplan

Commentaires

Nolt a dit…
"Elle implique la foi, et cette dernière s'oppose à la volonté de connaître la vérité."

--> Il n'est pas du tout certain que la foi soit opposée à la vérité, même (et surtout) dans le domaine religieux.
Croire en Dieu est une prise de position très subjective, c'est certain, mais nier son existence l'est tout autant.
Il existe une "foi" laïque (versant dans l'athéisme d'ailleurs) et même un intégrisme laïque (surtout en France) qui n'est pas plus proche de la Vérité que la foi religieuse.
Le non-rapport à Dieu (ou à toute sorte de métaphysique) est aussi une affaire de croyance.

"Chaque voteur est fondé à penser que, sauf situation hautement improbable, il ne sera pas celui dont le seul bulletin fera basculer le vote. Le coût matériel de l'erreur est donc infinitésimal et la décision de conviction aura donc toutes les chances d'être celle qui est choisie."

--> Très intéressant, ça me fait penser au fameux dilemme du prisonnier, où, deux types, en prenant chacun la décision la plus rationnelle possible, finissent par aboutir à la plus mauvaise solution pour tous les deux.
(cf la partie "formulation" de cet article de wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier qui, mais ce n'est pas une règle, est correctement rédigé).
Un bel exemple, je trouve, de rationalité irrationnelle. ;o)

Ceci dit, je ne pense pas que les quelques citoyens "informés" puissent réellement venir à bout de l'ignorance de la masse. C'est la limite d'un système démocratique que l'on a érigé, à tort, en dogme absolu et qui met l'élite sur le même pied d'égalité (quant aux décisions importantes, les droits fondamentaux devant, eux, s'appliquer à tous) que le trou du cul moyen.

Il faut un permis pour conduire une bagnole, construire une maison, exercer certaines professions, piloter un avion, chasser le chevreuil, mais pour choisir le destin d'une nation, tout le monde est considéré "apte" par défaut.
Ce n'est pas seulement stupide, c'est abominablement dangereux.

Les choix dictés par la masse ne sont pas moins épouvantables que les errances des pires dictatures.
Il faudra un jour, tout comme l'on a admis l'iniquité des dictatures, liquider l'horreur démocratique pour, enfin, trouver une voie plus juste, plus raisonnable, plus efficace.
Car l'égalité en tout est aussi un dogme reposant sur la foi et causant bien des dégâts. Personne ne veut d'un choix de groupe lorsqu'il faut prendre une décision concernant une opération médicale ou une manoeuvre aérienne. On veut le meilleur médecin ou le meilleur pilote.
Un pays n'échappe pas au bon sens qui veut qu'il sera toujours mieux dirigé par ses élites que par l'ensemble de ses composantes.

Malheureusement, une telle idée choque autant à notre époque que l'athéisme au moyen-âge.
C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir...
Celvec a dit…
un peu moins intéressant que le reply de neault:

http://www.dailymotion.com/video/x5u3xv_le-robot-blatte_tech
Anonyme a dit…
Encore moins téressant, et simple acte de foi : la rationnalité, c'est caca. Ou plus exactement : ah ah ah !
Gromovar a dit…
@ Neault :
Etre athée militant est une foi comme une autre. Les intégristes français de la laïcité ne sont pas plus en quête de vérité que les croyants échevelés.
C'est typiquement un cas de free riding tel que défini par Olson par exemple, donc assez proche du dilemme du prisonnier. La théorie des jeux en économie est très utilisée en analyse politique et en stratégie, Thomas Schelling en est l'illustration la plus éclatante (http://quoideneufsurmapile.blogspot.com/2008/02/micromotives-and-macrobehavior-est-le.html)
Concernant le suffrage universel, les grecs pensaient qu'il évoluait inévitablement en démagogie, c'est pourquoi ils lui préferraient le tirage au sort. Je ne sais pas s'il faudrait adopter le tirage au sort mais une chose est sûre : les politiques publiques acceptables démocratiquement ne sont pas toujours, et de loin, les plus efficaces.

@ Celvec : J'ai beaucoup aimé. Il y a un petit bouquin de Steven Johnson, titré Emergence, sur les intelligences collectives.

@ Nébal : Einstein disait : "Dieu ne joue pas aux dés".
Aigo a dit…
Intéressant. Je pense que j'avais déjà vu un compte-rendu de ce livre sur Rationalité Limitée, mais celui-ci en offre un bon complément.

Sur la question la non-croyance en Dieu, je suis d'accord avec Neault, à une nuance près: pour moi il n'y a pas "d'intégrisme laïc", mais bien un intégrisme athée qui se prétend laïc pour se donner de la respectabilité. Mais il s'agit d'une imposture. Depuis que j'ai commencé à m'engager en faveur de la laïcité, j'ai constaté que mes adversaires sont souvent des militants athées qui conçoivent la laïcité comme un outil pour faire disparaître les religions.

Sur la démocratie: l'avantage de ce système n'est pas de prendre "les bonnes" décisions, mais d'arbitrer les aspirations des différentes composantes de la nation par un canal non-violent, le suffrage.
Les décisions prises peuvent donc être irrationnelles et nuisibles (mais c'est aussi le cas de décisions prises par un monarque ou par un petit nombre; l'être humain reste faillible peu importe son niveau d'éducation).
Mais les décisions irrationnelles chercheront à s'exprimer et se réaliser peu importe que ce soit par suffrage ou par violence. Supprimez le suffrage, le pékin ignorant a toujours sa vieille pétoire (ou autre arme plus efficace).
C'est une théorie difficile à prouver hors de tout doute. La meilleure méthode selon moi serait une étude détaillées et comparative des révoltes en système démocratique et non démocratique, ce qui reste presque entièrement à faire et donnerait lieu à des interprétations diverses.
Ne reste... qu'un acte de foi raisonné.
Quoiqu'il en soit, il y a peut-être moyen de résoudre cette aporie politique, mais je reste convaincu qu'une "élitocratie" classique ne fonctionnerait pas et serait pire que le mal.
Gromovar a dit…
@ Aigo : OK pour l'intégrisme athée.
Peut-être aussi faudrait-il , comme le souhaitait Platon, que les rois soient philosophes...