Entre littérature blanche et de
genre...
Confiteor de Jaume Cabré
Le grain de sable, c'est d'abord
une poussière dans l’œil ; ensuite, cela devient un agacement
dans les doigts, une brûlure à l'estomac, une petite protubérance
dans la poche et, si le mauvais sort s'en mêle, cela finit par
devenir une lourde pierre sur la conscience. Tout commence comme ça,
ma chère Sara, la vie comme les récits, par un grain de sable
inoffensif, qui passe inaperçu.
Fresque familiale des années 30 à nos
jours, Confiteor est un superbe récit, usant d'une narration éclatée
qui n'est pas sans rappeler Ian M. Banks dans l'Usage des armes ou Le
Déchronologue de Stéphane Beauverger.
Confiteor s'est aussi la quête de la
rédemption, quelle soit impossible dans le cas de médecin nazi ou
entravée par l'orgueil d'Adrià Ardèvol... Il est des postures
qu'on en vient à regretter sa vie durant.
Confiteor s'est aussi une superbe
galerie de personnages haut en couleurs liées de manières
surprenantes, permettant à Jaume Cabré de narrer nombres
d'histoires dans sa trame.
Bref, quitte à me répéter il s'agit
là d'un roman très fort, dense, sur la culpabilité, l'amitié,
l'amour et quelques trahisons, bref un ensemble d'excellents moments
faisant de ce livre un incontournable qui devrait plaire à tout
amateur de littérature de genre un peu exigeante.
Le quatuor de Jérusalem d'Edward
Whittemore
Avec sa tétralogie sur le
Moyen-Orient, Edward Whittemore présente cette région tout au long
du XXe siècle. Malgré les heures sombres traversées, Whittemore ne
se défait pas d'un humour acide...
Quant à la masse de ses
compatriotes, traditionnellement partisans de l’envoi massif de
troupes à l’étranger, ils furent consternés de lire sous la
plume de Strongbow que toute expédition militaire n’était qu’une
manifestation détournée d’une maladie sexuelle, plus précisément
une peur bien ancrée de l’impuissance.
Dans le livre XII, et
quatre-vingt-dix millions de mots plus tard dans le livre XXII, il
faisait remarquer que le verbe foutre et ses formules dérivées
étaient les injures préférées des impérialistes et des
patriotes. Ainsi, à l’en croire, quand on levait une armée,
c’était en général parce qu’on ne pouvait pas lever autre
chose.
Mais au-delà de l'humour noir et du
drame, c'est aussi le portrait d'une poignée de personnages hors
normes, attachants malgré leurs côtés incongrus voire déjanté.
Bizarre, songea Joe, qu’on
utilise toujours les mêmes mots pour aider son prochain. Quelqu’un
vous les lance alors que vous êtes en train de sombrer, pour vous
aider à surnager et, douze ans plus tard, c’est vous qui les lui
répétez. On les dit et on les répète, ça ne s’arrête jamais.
Mais il y a des moments où on ne peut faire autrement que de fuir,
non, on ne peut pas, on fuit soi-même, on n’a pas le choix, il
faut bien survivre dans le nuit et le froid. Tout le monde finit par
devenir une victime, tout le monde cherche un jour à survivre.
Des personnages qui traverseront une
période troublée au sein d'une région instable. Se croisant et se
liant, se respectant malgré leurs différences qu'ils soient
idéalistes ou opportunistes, produisant un récit sous forme de
trame, donnant finalement une vue d'ensemble spectaculaire et
touchante.
Mais toute vie est une tapisserie
secrète qui se tisse et s’édifie au cours des ans, avec des âmes
et des efforts en guide de fils et de couleurs. Et peut-être
trouve-t-on sous la surface des petits nœuds de sens tout emmêlés,
qui relient les fils et les couleurs, mais ces petits nœuds n’ont
au fond aucune importance, seul compte le dessin, la tapisserie dans
son ensemble.
Une tétralogie réussie et difficile à
quitter à partir du second tome, procurant d'excellents moments des
plus mémorables.
Au final voici deux œuvres fortes,
touchantes et stimulantes intellectuellement, deux œuvres
indéniablement de littérature blanche jouant avec les codes de la
littérature de genre. Des romans prenants qui devraient plaire aux
amateurs de Hal Duncan et Ted Chiang.
Commentaires