Le démon de Maitre Prosper - KJ Parker VO

Sortie hier de la traduction française de la novella Prosper's Demon , de KJ Parker, qui était chroniquée ici il y a quelques années . Intitulée Le Démon de Maitre Prosper en France et traduite par l'excellent Michel Pagel, elle sort à L'Atalante et, tu le sais lecteur si tu as lu ma chro, elle est bien sympathique.

La Maison des veilleurs - PK Dewdney


Sache, lecteur, qu’arrive bientôt chez ton libraire le plus proche La Maison des veilleurs, quatrième tome du Cycle de Syffe, après Les Chiens et la charrue, La Peste et la vigne et L’Enfant de poussière. Sache aussi qu’il est vraiment très bon. Il est donc temps de te donner envie, sans trop spolier ceux qui ne l’ont pas encore lu ni ceux qui n’auraient pas lu les précédents !

Les aventures bourroises de Syffe et de sa coterie sont loin d’être terminées. Soldé et établi dans dans cette Tannerie proche de la capitale que le primat Aidan Coujourg a mis à la disposition de son groupe, Syffe, désormais nanti du patronyme Sans-Terre, se repose auprès des proches qu’il a choisis (et aussi de ceux qui lui ont été imposés par le primat) après les événements (et, disons-le, l’amère victoire) de Puy-Rouge. Au groupe original amputé de ses membres tombés au combat se sont maintenant ajoutées deux guerrières Epones, Driche et Plume, dont l’une est une amie d’enfance. Pour tous, le calme après la tempête sera de courte durée.

Politiquement, si la position de Syffe auprès du primat – ainsi que l’amitié de celui-ci – semble assurée, le jeune homme a toujours autant de mal à faire pleinement confiance à un homme de pouvoir qui voit d’abord en lui, et par-delà toute autre considération, un outil à manier afin de faire avancer ses ambitions unificatrices. Nonobstant l’affection qu’Aidan Cojourg lui témoigne et l’accès privilégié qu’il lui accorde parfois, Syffe sait bien que lui et sa troupe de combattants irréguliers sont d’abord pour l’ambitieux primat des cartes supposément maîtresses qu’il veut pouvoir jouer lorsque se fait sentir le besoin de « continuer la politique par d’autres moyens ».
Et si Syffe ne doit pas se fier aveuglément à son bienfaiteur, quelle attitude adopter alors avec l’entourage de celui-ci, ces nobles dévoués à la cause de leur maître qui, même s’ils peuvent apprécier le jeune homme, n’ont pas pour lui l’amitié d’Aidan ni la dette qu’il estime avoir ? Quelle confiance leur faire ?
Il est pourtant vital que Syffe ait l’oreille du primat et l’écoute de ses proches. Car vient de l’Ouest une terrible menace, perceptible depuis le premier tome et qui s’est précisée d’inquiétante manière dans Les Chiens et la charrue. Car face à ce mal ineffable les tribus Epones sont les premières menacées, et qu’il est en le pouvoir d’Aidan Cojourg de leur prêter assistance.
Vital de convaincre donc. Mais délicat. Car convaincre Cojourg implique de lui en dire beaucoup, de révéler une partie restée discrète de l’identité de Syffe. Un secret et des révélations qui peuvent être reçus avec incrédulité ou, pire, être crus et mettre Syffe en péril dans une primauté où on se méfie fortement de ce qui est surnaturel.
Une lueur d’espoir perce néanmoins avec l’apparition d’une alliée inattendue en la personne de la jeune épousée du primat. Time will tell.

Ceci posé, quand le roman commence, il ne s’agit pas encore de convaincre. Aidan est au loin, guerroyant, et bien vite, durant cette parenthèse de carence, la primauté est attaquée par une foudroyante horde d’envahisseurs. L’urgence est à la survie, à la contre-attaque. D’autres priorités n’apparaîtront qu’après, unir les primautés autour d’un roi par exemple. Je n’en dis pas plus.

Dans La Maison des veilleurs, Syffe balance toujours autant entre son peu d’appétence pour les structures de domination traditionnelles qui font de certains des nobles et des autres des gueux et l’intérêt qu’il trouve à être proche des lieux de pouvoir afin de faire avancer les causes et les buts qui lui paraissent justes ou vitaux.
Au sein de son propre groupe, les décisions sont participatives, et nul n’est jamais forcé à rien. Contrairement à Aidan et à l’entourage noble de celui-ci, Syffe ne croit pas que certains soient nés pour gouverner et d’autres pour obéir, dans une version bourroise des « esclaves par nature » d’Aristote qui révolte le jeune homme et marque le hiatus infranchissable entre lui-même et ceux qui, pour l’instant, le soldent.
Dans sa coterie donc, pourvu qu’il soit ami, vient qui veut (jusqu’à l’accueil d’une étonnante créature non humaine), participe qui veut, part qui veut. L’approche Var de ce qui peut difficilement être qualifié de gouvernance fait de Syffe un primus inter pares avec l’accent clairement mis sur le pares. Ce n’est que sa proximité avec Aidan Cojourg qui fait de lui le « leader » réticent de la bande qu’il a réuni autour de lui, pas une volonté personnelle de dominer ses compagnons. Car du pouvoir Syffe ne veut pas, et il tente donc de succomber le moins possible à son attrait, en prenant conseil notamment.
Le monde lui donnera raison et, à titre d'exemple, il aura une occasion de voir à ses dépens comment les jeux de pouvoir compliquent tout ce qui est simple lorsqu’il voudra simplement aider un bouvier dans la difficulté. Il découvrira aussi, à son corps défendant, que même l’influence qu’il a sur Aidan Cojourg est mise à son débit par ceux pour qui le statu quo est tout.
Le pouvoir épuise, s’en libérer libère. Si Syffe en a toujours été convaincu, certains des protagonistes du roman en font l’expérience, surprenante pour eux que leur naissance poussait à être convaincus du contraire.

Pour ce qui est de la violence qu’il exerce – ici encore au service d’Aidan Cojourg – et de la mort qu’il donne alors que toute vie se vaut, lui et son groupe ressemblent à ces simples soldats que Barbusse décrivait dans Le Feu. Disons pour paraphraser qu’ils vont au combat sans ivresse ni excitation, en pleine conscience, loin des regards et des médailles. Et cela convient à Syffe. Il sait que la légende ne retiendra pas leur nom, mais il ne cherche pas à entrer dans quelque légende que ce soit. Il sait qu’il joue un camp contre un autre, mais peu lui chaut que le gouvernement soit le fait d’un autocrate unique ou de plusieurs qui se chamaillent. Alors qu’importent les camps ? Ce que veut Syffe c’est l’autodétermination Var, qu’on trouve aussi chez les Epones, ce peuple où les décisions sont débattues entre tous, où on tente de soigner les torts plutôt que de punir, où la justice est restitutive plutôt que répressive.

Les compagnons de Barbusse, comme Barbusse lui-même qui s’engage alors qu’il n’est pas appelé, y allaient parce que les autres y allaient. Ils étaient solidaires les uns des autres dans la communauté de hasard qu’ils formaient au sein de leur unité ou dans leur tranchée. Ici aussi c’est largement le hasard qui a réuni Syffe et ses compagnons, et ici aussi le temps et les épreuves partagées ont fait naître au sein de la coterie qu’ils constituent une grande solidarité qui tangente dans certains cas une forme pudique d’amitié voire d’amour chaste. Chacun sait qu’il peut compter sur les autres, chacun est partie d’un tout ; il peut y avoir des réticents mais il n’y a pas de traîtres. C’est fort de cette certitude que Syffe s’oppose, parfois très frontalement, à ses commanditaires. Il le fait quand il s’agit de faire respecter une parole donnée, de défendre ses proches, ou de sauvegarder la justice, à fortiori quand elle prend la forme d’une expérience originale d’horizontalité politique.
La force de Syffe est grande dans ce quatrième tome, la fin en est une preuve éclatante, et c’est de la solidité de son collectif qu’il la tire. Il en aura besoin car les jours à venir seront terribles, le cliffhanger sur lequel se clôt le livre n’annonce pas autre chose.

Toujours écrit dans une langue d’une précision telle qu’on a l’impression que les événements, les lieux et les protagonistes sont décrits en très haute définition, La Maison des veilleurs est encore une fois un roman qui se dévore entre grande aventure, intrigues géopolitiques et développements biographiques passionnants. Sur les traces de Syffe tu parcourras, lecteur, les terres de la Haute Brune, et qu’il s’agisse de festoyer, de combattre, de converser, de nouer des liens, voire de naviguer, tu seras toujours en son aimable compagnie – aimable non parce qu’il serait dans la bienveillance mièvre ou dans cette bienvivance (!) qu’on enseigne parait-il à l’université Paul Valéry de Montpellier, mais bien parce que chacun de ses gestes, de ses mots, de ses silences volontaires est sous-tendu par un impérieux désir de justice.
« La justice est le lien des hommes, la vertu la plus nécessaire de la société », Cicéron

La Maison des veilleurs, PK Dewdney

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