La Cité des marches - Robert Jackson Bennett

Bulikov, la capitale du Continent. Autrefois une ville grande et puissante, le centre du monde. Aujourd’hui une ville conquise, en partie détruite. Rome après Alaric. Kind of. Dans le monde de La Cité des marches , dernier roman traduit en français de Robert Jackson Bennett et premier volume de le trilogie des Cités divines , il y a le Continent et le reste – ce centre-périphérie théorisé au XIV siècle par le grand historien arabe Ibn Khaldoun . Et, comme dans l’analyse de ce dernier, la périphérie a fini par conquérir le centre, en l’occurrence le Continent ; rien d’étonnant, ce n’est qu’à la périphérie que résident la force et la détermination nécessaires à la guerre. Concrètement, c’est une révolte conduite avec succès il y a plusieurs décennies par le Kaj qui a abattu l’empire continental et ses dieux. La chute des uns entrainant celle de l'autre. Car tu dois le savoir, lecteur, le pouvoir sans égal du Continent était le fruit des « miracles » de ses six dieux, incarnés dans le

Le Serpent - Claire North


Venise, XVIIe siècle. Thene est la jeune femme d'un homme violent, alcoolique, méprisant, qui perd peu à peu au jeu tout l'argent de la dot. Réduite à sa propre insignifiance assignée, Thene accepte, comme atterrée, la situation, jusqu’à accompagner son regrettable mari dans son lieu de perdition favori, la Maison des jeux, un « casino » très exclusif dans lequel s'affrontent gros joueurs et gros perdeurs sous les yeux vigilants d'arbitres anonymes.

Dans la Maison des jeux, au milieu d'un luxe ostensible, se croisent tout ce que l'humanité compte de riches et de puissants, Vénitiens, Français, princes mogols, tant d'autres. Le consternant mari y perd des sommes impressionnantes, alors que, tentant sa chance, Thene réalise qu'à l'inverse du triste sire elle est douée. Très douée même.


Ce cercle compte un cercle intérieur, la Haute Loge, dans laquelle se jouent des parties d'une autre nature à d'autres niveaux d'enjeux. Le talent de Thene lui vaut d'être invitée à postuler à l'admission dans la Haute Loge. Mais pour être admise il lui faudra vaincre trois autres postulants dans une partie dont le plateau est le ville entière et l'objectif l'octroi d'une position politique éminente pour celui qu'elle représente. Aveuglée par la forme de brouillard de guerre qu'engendre le secret des complots mais nantie de suivants qu'elle peut utiliser comme des pièces, Thene devra faire preuve d'intelligence, de sens tactique, d'une maîtrise parfaite du timing et d'une vraie rouerie pour atteindre son but en plaçant son poulain dans un siège d'Inquisiteur au Tribunal Suprême de la ville.


"Le Serpent" est le premier d'une série de trois novellas (les deux autres paraîtront aussi en UHL).

Dans une belle description de la Venise riche et corrompue du XVIIe, luxueuse et pourrissante à la fois, brillante et sombre simultanément, North entraîne le lecteur dans une histoire à la Jeu des Trônes où le pouvoir politique est l'enjeu suprême de toute partie et même plus globalement de toute action. Il y a du GRRM dans ce texte mais aussi du Jaworski sans doute.


Montrant explicitement que le jeu politique est un jeu dans lequel les joueurs utilisent des hommes et leurs vies comme pièces et ressources, le texte nous entraîne aussi dans un métagame (qui se développera dans les deux textes suivants) dont Thene elle-même comprend, et nous aussi car Thene est décrite de l’extérieur par un narrateur, qu'elle n'y est qu'une pièce pour d'autres joueurs d'un niveau supérieur – des joueurs qui jouent la stratégie quand elle ne joue que la tactique. On rappellera pour mémoire que le jeu de l’espionnage et de l'influence est appelé Le Grand Jeu par ceux qui le jouent, et que des décisions qui y sont prises sur une carte du monde affectent jusqu'à des vies minuscules sur des terrains parfois très éloignés ; ça semble être le cas ici. Les multivers sont assez présents aujourd'hui dans le genre mais on retrouvera là des saveurs de Moorcock ou plus encore de Zelazny.


"Le Serpent" est aussi l'histoire de la libération et de l'empowerment d'une femme qui apprend le prix à payer pour la liberté, les risques à prendre, les sacrifices à faire (y compris quand ce sont les autres qu'on sacrifie).


C'est enfin une histoire nerveuse et dynamique dans laquelle Thene sait qu'elle ne doit jamais s'arrêter (sauf pour raisons tactiques) car dans le Jeu des Trônes on gagne ou on meurt (ou que, comme le disait Che Guevara : « « La révolution est comme une bicyclette, quand elle n'avance plus, elle tombe »).


Plaisant, élégant, titillant. A lire.


Le Serpent, Claire North

L'avis de Feyd Rautha

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