The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Un pont sur la brume - Kij Jihnson - Retour de Bifrost 84


Nouvelle heure-lumière avec "Un pont sur la brume", une bien jolie novella de Kij Johnson, entre SF et fantasy. Nebula 2011 et Hugo 2012 de la meilleure novella, "Un pont sur la brume", par son ambiance crépusculaire lotek éveille, dans un cadre très différent, le type de sensations qu’amenait la lecture des Soldats de la mer.

Procheville, une petite bourgade dans un empire sans nom que survolent deux lunes la nuit, est séparée de Loinville, sa localité jumelle, par un fleuve de brume de 400 mètres de large qui coupe l’empire en deux avant de se jeter dans l’Océan de brume. Depuis toujours il faut prendre le bac pour aller d’une rive à l’autre car aucun pont n’existe. Bacs et barques de pêche naviguent donc bien sur l’étrange matière - que ce soit pour faire la traversée ou pour aller capturer les gros poissons dont on tire une chair savoureuse et la peau qui recouvrira les coques et les protègera de la corrosivité de la brume - mais si pêcher près des rives n’est pas très risqué, traverser est dangereux car la brume est imprévisible, caustique, et abrite, dit-on, des géants dans ses profondeurs. C’est pour cela qu’arrive à Procheville l’architecte Kit Meinem. L’empire l’envoie construire un pont sur la brume.

La novella est raconte l'histoire d'une construction périlleuse qui peut rappeler la belle BD La voie ferrée au-dessus des nuages de Li Kunwu. Mais c’est surtout l’histoire d’un homme qui, de lieu en lieu, amène le changement puis part avant d’en voir les effets. Créant un passage rapide et sûr entre l’Est et l’Ouest de l’empire, Kit les solidarisera et, inévitablement, augmentera leurs échanges, tant économiques que culturels. Positif donc. Mais pour les habitants des deux bourgades, qui vivent de la traversée, Kit est la destruction créatrice de Schumpeter personnifiée. Débarquant avec sa science et le capital de l’Etat dans une petite communauté où, comme dans le Japon médiéval, on n’a même pas de nom si ce n’est celui de sa profession, rendant continu un chemin qui, jusque là, était discontinu car on ne traversait que quand on « sentait » la brume, dans un mélange d’expérience et de mystique peu rationnelle, Kit détruira, sans même le vouloir, les modes de vie traditionnels en apportant l’innovation. C’est sa proximité puis son amour pour la passeuse Rasali Bac qui l’amènera, pour la première fois de sa vie, à s’interroger sur les effets de son travail et à évaluer sa responsabilité personnelle. Non manichéenne, la novella montre que les modes de vie traditionnels ne sont pas forcément des trésors à préserver, qu’ils peuvent être durs ou cruels, qu’on peut vivre le changement comme un déchirement ou une perte mais aussi comme l’occasion de s’extraire de la tradition et d’aller au-delà de la colline pour voir ce qui s’y trouve.

Texte subtil qui peut se lire autant comme aventure personnelle que comme allégorie politique, "Un pont sur la brume" (dont on peut lire la VO avec d'autres textes dans le très bon recueil At the mouth of the river of bees) est une belle novella d’un auteur trop peu traduit.

Un pont sur la brume, Kij Johnson

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