Christophe Carpentier, premier Prix Jacques Sadoul

Oyez ! Oyez ! Belles gens ! Sachez qu'hier a été annoncé le nom du premier lauréat du Prix Jacques Sadoul. Il s'agit de Christophe Carpentier, pour la nouvelle Un écho magistral , écrite à partir de la phrase-thème :  « Je vais au café pour lire le journal d’avant-hier »  sur le thème tiré au sort : SF. Les belles personnes immortalisées ci-dessus constituent le jury du prix (qui a visiblement bien mangé et bien bu)  : Sixtine Audebert, Philippe Béranger, Morgane Caussarieu, Jean-Pierre Dionnet, Marion Mazauric, Nicolas Rey, Jean-Luc Rivera, Christophe Siébert, Jérôme Vincent, Philippe Ward et Joëlle Wintrebert. Le trophée sera remis à l'heureux élu aux Imaginales 2025 et il sera publié dans le recueil dédié.

Elise et Lise - Philippe Annocque - Avers et revers


"Elise et Lise" est un court roman français contemporain – c'est presque un pléonasme – qui raconte une histoire qui croit qu'elle est une alors qu'elle est autre.

Elise et Lise (ces noms sont-ils fiables ? il est permis d'en douter) sont deux étudiantes parisiennes, qu'on dira sorbonnardes. Qu'importe ! Ce sont deux jeunes filles, vierges non, en couple non plus. L'une devient, par volonté, l'amie de l'autre, qui devient son amie. L'une et l'autre, rapidement, partagent un logement, de l'air, des loisirs, et presque une seule famille, celle d'Elise.

C'est un conte de fées que dit Annocque. Un de ces contes structurels éternels, décrits par Vladimir Propp dans son Morphologie du Conte. Ce conte, d'autres l'ont déjà dit avant lui ; il n'est ici que le dernier locuteur en date d'une histoire qui lui préexiste et qui réside dans la psyché humaine, en attente de manifestation.

Personnages de conte de fées, Elise et Lise enfilent des masques déjà portés par d'autres avant elles. L'héroïne et la fausse héroïne, la gentille et la méchante, l'heureuse et la jalouse, la solaire et la lunaire, Elise et Lise. Autour, il y a la famille, le prince, le monde matériel, un environnement qui n'existe que comme tel tant le projecteur est braqué sur le couple central. Car c'est au sein de ce couple que se joue l'important, l'inversion, le glissement, la substitution progressive, le remplacement de l'original par son doppelgänger. Mais, quand le rideau commence à tomber, la fausse héroïne redevient une simple potentialité, la fin le montre. Le double n'est qu'en attente de son simple, et n'existe qu'en contrepoint néfaste de celui-ci. Spiderman et Venom.

Pour dire, après d'autres, cette histoire, Annocque assonne et allitère. Il livre une temporalité imprécise. Il montre des personnages disant ce qu'ils pensent, ou ce qu'ils disent, ou ce qu'ils croient dire, ou ce qu'ils croient penser. Des personnages à la mémoire incertaine, des personnages dont les actes sont ceux qu'ils font, ou ont fait, ou ont cru faire, ou ont voulu faire, ou ont dû faire. Rien n'est certain si ce n'est le déroulement presque inévitable – mais pas complètement – du conte.
Il en ressort le sentiment fort que les personnages sont des rôles plus que des acteurs, qu'ils sont agis plus qu'ils n'agissent, selon une logique implacable qui les contraint, sans en avoir l'air, à tenir leur rôle dans la pièce. Sont-ils des personnages, leurs manteaux, ou leurs porte-manteaux ? Poser la question c'est y répondre, à fortiori dans ce livre.

S'inscrivant dans une tradition qu'il actualise, Annocque offre un texte qui mérite le détour, bien plus intéressant que ces Once upon a time que propose la télévision. Quel dommage que, contrairement aux frères Grimm ou à Perrault et son fils, Annocque n'ait pas de double, la boucle serait bouclé ; à moins que, à l'insu de tous, Annocque l'original ait déjà été remplacé par Annocque l'imposteur qui s'attribuerait ses œuvres.

Elise et Lise, Philippe Annocque

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