"Islamicates vol I" est un recueil – sur Appel à textes - de nouvelles SF « islamicate ». Je reprends ici le titre du recueil, titre lui-même emprunté à Marshall Hogdson. Est islamicate, pour faire bref, ce qui se rattache aux cultures musulmanes, aux cultures des « mondes » musulmans, y compris ce qui n’est pas spécifiquement religieux.
Sur Hogdson, Wikipedia dit : « Most importantly he distinguished between Islamic (properly religious) and Islamicate phenomena, which were the products of regions in which Muslims were culturally dominant, but were not, properly speaking religious. Thus wine poetry was certainly Islamicate, but not Islamic. »
Et la définition exacte de son projet que donne l’anthologiste, Muhammad Aurangzeb Ahmad, sur son site est celle-ci : « Islam and Science Fiction is a website on all things related to Islam, Muslims and Science Fiction and everything in between.The exploration of Islam and Science Fiction is from a cultural and social perspective, from a cultural and civilizational sense. A more appropriate term would be Marshall Hodgson's Islamicate. Thus this site is a compendium of novels, short stories, novellas, movies etc which either has Islamic themes or have Muslim characters. »
Plongeant dans l’inconnu pour trouver du nouveau, je suis allé lire ces douze nouvelles de SF islamicates. Voici ce que j’ai lu.
Une nouvelle est très intéressante car la part islamicate se mélange sans solution de continuité au récit et en est le moteur véritable. Cette part n’est pas seulement un plus, sans elle la nouvelle n’existerait pas. Il s’agit de Pilgrims Descent, de JP Heeley, qui renouvelle le thème du pèlerinage et rappelle que la Lune est une dure maitresse. L'approche religieuse sert ici le récit, comme dans Le Dibbouk de Mazel Tov IV de Silverberg.
Operation Miraj, de Sami Ahmad Khan, est une histoire de voyage temporel et d’uchronie désirée, simple (trop ?) mais sympathique, même si la chute était prévisible.
Calligraphy, de Alex Kreis, est une sorte de conte des Mille et une nuits mêlant calligraphie, nom de Dieu, et nombres irrationnels. Mouais.
Searching for Azrail, de Nick Pierce, est une aventure de guerre et de succession spatiale à l’ambiance islamicate avec janissaires et autres. Mouais.
The End of the World, de Nora Salem, est un récit post-apo plutôt bien mené dans lequel le fond islamicate est du domaine du décor.
Puis il y a les autres.
Dans Insha’Allah, de R. F. Dunham, un savant retiré après avoir inventé un système individuel de prédiction statistique à court terme de l’avenir, se réjouit de mourir accidentellement et de manière imprévue, car ça prouve que son système est faillible et que le destin reste entre les mains de Dieu.
Une animatrice de réunion perturbe le meeting de souvenir du 11 septembre qu’elle anime en hurlant la mémoire de victimes musulmanes d’autres conflits – dont ceux déclenchés (?) par l’ONU –, ses propres griefs, et sa propre histoire. Elle ne peut résister à la confrontation des douleurs qu’en prenant une drogue qui endort la mémoire et l’ampute donc de ce qu’elle est. C’est Connected, de Marianne Edwards.
The Day No One Died, de Gwen Bellinger, raconte comment les derniers croyants sont persécutés et empêchés de pratiquer leur foi par les néo-humains ultra-rationnalistes qui ne croient à rien, falsifient l’Histoire, vivent la moitié du temps nus, et forniquent à qui mieux mieux. L’héroïne est courageuse et noble dans sa résistance. Chez Peter F. Hamilton, les néo-humains sont cool, les conservateurs non ; ici c'est l'inverse.
Dans Watching the Heavens, de Peter Henderson, les réfugiés sont des Européens venus sur les côtes du Maghreb après que l’arrivée d’aliens ait radicalement transformé la Terre. Certains de ces réfugiés sont des terroristes qui luttent contre les aliens. Stigmate inversé.
The Answer, de Niloufar Behrooz, raconte l’histoire de la dernière vraie humaine, confrontée aux hommes de béton que sont devenus tous ceux qui ont oublié Dieu et leur spiritualité. Mystique.
The Last Map Reader, de Sazida Desai, un récit de funérailles hitek dans lequel les derniers « purs » qui réfléchissent et savent sont menacés et tués par les « ennemis ».
Congruence, de Jehanzeb Dar, est une histoire de boucle temporelle plutôt bien foutue dans laquelle l’héroïne a été victime des prisons secrètes américaines dans le futur (!) et qui cherche donc à le changer en évitant pour commencer un attentat islamophobe.
1 très bon texte donc (en plein dans l'objectif)
1 bon (mais un peu gimmick)
3 dispensables.
Et 7 qui oscillent entre valorisation de l'anti-rationalisme, victimisation plus ou moins affirmée, ressentiment plus ou moins explicite. Si quand un anthologiste qui se revendique comme islamicate sélectionne des textes qui sont pensés par leurs auteurs (sûrement tout à fait sympathiques) comme islamicates, et que le résultat c'est 7 textes sur 12 qui sont martyrologiques, dogmatiques, ou anti-rationalistes, c'est au mieux consternant, au pire inquiétant. En tout cas, ça dit quelque chose sur un imaginaire.
Islamicates vol I, Collectif
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