"
Poison City" est le premier roman adulte de l’Ecossais vivant en Afrique du Sud Paul Crilley. C’est de la fantasy urbaine sous speed.
Les plus vieux et les plus tarés de mes lecteurs se rappellent peut-être avoir joué à
In Nomine Satanis,
‘le jeu qui sent le soufre’. On y incarnait des anges ou des démons sous couverture humaine (puis au fil des extensions des créatures issues de nombreuses autres mythologies), engagés dans une sorte de guerre froide. Background comme mécanisme de jeu étaient conçus pour engendrer une expérience rapide, violente, sarcastique, parfois limite, et finalement exaltante. Et bien, disons-le, "
Poison City" m’a replongé dans cette ambiance. Les plus jeunes et/ou sains d’esprit peuvent imaginer un croisement entre
MIB et
La Laverie pour se représenter la chose.
Durban, Afrique du Sud. Gideon Tau est membre de la Delphic Division, l’unité d’enquêtes occultes de la police sud-africaine. Le boulot de la Division est d’empêcher les créatures de l’au-delà – qui peuvent toutes intervenir dans notre monde sous forme humaine, et y vivent souvent sous couverture comme dans INS ou MIB – de mal se comporter, et, quand nécessaire, de retrouver celles qui dérapent pour les neutraliser. Comme dans le cycle fantastique/ironique de Stross, elle doit agir en dépit des restrictions budgétaires, des procédures administratives exaspérantes, et des chefs politiques incompétents ou corrompus – ce n’est pas mutuellement exclusif. Au sein d'un service qui se débat contre vents et marées, Tau a trois problèmes particuliers. D’abord, il n’est pas le mieux spécialisé des enquêteurs de la Delphic ; ses capacités magiques sont au mieux inférieures à celles de ses collègues, au pire dangereuses pour lui. Ensuite, Tau est flanqué d’un « assistant » peu coopératif ; ai-je précisé que c’était un chien démon parlant, paresseux, mal embouché, et alcoolique ? Enfin, Tau n’est pas le plus stable des hommes depuis qu’il y a trois ans sa fille a été massacrée par des tueurs qu’il n’a pas pu arrêter à temps.
Alors, quand une enquête sur un vampire tribal assassiné le remet sur la trace des tueurs de son enfant, le très cynique Tau, déjà peu procédurier, passe ses limites au mépris de toute prudence. Et tombe incidemment sur un complot d’une ampleur qui le dépasse.
Qu’on le sache avant de lire ce qui suit : j’ai assez peu de goût pour l’urban fantasy. Je précise ce point pour qu’on apprécie par contraste le plaisir avec lequel j’ai lu "
Poison City".
Un background à la
Neverwhere et une ambiance cyberpunk : c’est ce que propose "
Poison City".
Mais pas seulement. Il y a des auteurs sans surmoi, Crilley en fait partie et n'hésite pas à surprendre en passant les bornes du raisonnable. Meurtres graphiques, dépravation de masse, sadisme assumé, les méchants de "
Poison City" ne font pas semblant. Ca, c’est pour la forme. Mais c’est sur le fond que Crilley va le plus loin. Il ne s’interdit rien – même pas la résurrection d’un personnage principal –, convoque le ban et l’arrière ban des hiérarchies surnaturelles, et place ses enjeux au maximum possible pour l’Humanité. Tau se retrouve, hélas pour lui, à naviguer au cœur du 1%, entre maitres du monde humain et déités revanchardes. On est ici bien plus dans le
Sandman /
Lucifer de Gaiman/Carey que dans le merveilleux de
Neverwhere – même si la faërie joue un rôle aussi dans le roman – ou dans les playgrounds limités de l’urban de
Polansky.
Le style soutient la démarche. S’ouvrant sur une phrase à la Scalzi :
« The first thing the dog does when I walk through the door is sniff the air and say, “You forgot the sherry, dipshit.” », "
Poison City" est écrit au présent. Composé de phrases courtes, fréquemment nominales, le roman est speed comme un film d’action, construit comme un police procédural qui dérape, cynique comme un récit de détective épuisé par la vie, et fréquemment drôle pour peu qu’on aime l’humour décalé et l’antagonisme des
buddy movies – MIB encore. Truffé de références, lorgnant plus vers Gibson
‘The sky is the colour of faded nicotine’ que vers Beukes, "
Poison City" est un vrai page turner qui se lit avec beaucoup de plaisir.
Il y a bien deux ou trois scènes un peu too much (avec des vampires, décidément c'est toujours eux qui merdent), le scénariste de télévision Paul Crilley a peut-être du mal identifier ce qui passe bien à l’écran mais mal sur papier en terme de spectaculaire. Il y a aussi deux ou trois dialogues un peu trop casual sans doute, au vu des acteurs impliqué. Si ces défauts mineurs – l’urban fantasy nécessite après tout une forte dose de suspension d’incrédulité – sont corrigés, les romans qui suivront sûrement – car s’il y a une vraie fin il y a aussi des fils restés ouverts – devraient confirmer le talent narratif d’un auteur qui n’hésite pas à mettre sa ville à feu et à sang, et qui, s'il est encore un peu ici en phase de récapitulation, a déjà trouvé un ton qui est le sien.
Poison City, Paul Crilley
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