Stéphane Przybylski est l'auteur du
Château des millions d'années, premier tome de la tétralogie des Origines et virevoltante autant que documentée histoire de nazis archéologues (
Remember Mr Jones ?) mais pas seulement, loin de là. Dans très peu de jours sortira le tome 2 du cycle, sobrement intitulé
Le marteau de Thor (
chronique en cours ; on ne peut pas être en même temps aux retranscriptions d'itw et aux rédactions de chroniques, NdG). En attendant, il nous a gentiment accordé un entretien aux Utopiales. Voici donc quelques informations sur le cycle des Origines. Et pas d'inquiétude, nous avons fait très attention de ne pas spoiler.
Bonjour Stéphane, et merci d’accorder cette interview à Quoi de Neuf sur ma Pile. Commençons simple. Comment t’es venue l’envie d’écrire un livre ?
C’est une envie que j’ai depuis toujours. J’écris des histoires de SF depuis au moins le collège. J’avais une petite histoire qui trainait, qui existait dans ma tête et un peu sur le papier depuis mes 15 ans et un jour j’ai eu envie d’imaginer l’univers qui était autour. Ca a donné la tétralogie des Origines (
ah ouais, c’est ce qui s’appelle changer d’échelle, NdG), une série de 4 romans dont le
Château des millions d’années est le premier tome.
En regardant la couverture et en lisant le résumé du Château des millions d’années, c’est Indiana Jones qui vient immédiatement à l’esprit. Est-ce une parenté volontaire ? N’as-tu pas été effrayé d’offrir une référence évidente au lecteur ?
C’était bien sûr une volonté d’entrer dans le même sujet, le même univers, le même environnement, en l’occurrence ce Moyen-Orient où des fouilles archéologiques sont menées par des SS. Mais je voulais prendre le contrepied de la vision américaine, c'est-à-dire de ce point de vue dans lequel les nazis sont toujours caricaturés, peut-être pour les rendre moins effrayants qu’ils n’étaient en réalité. J’avais envie de voir ça du point de vue des Allemands. C’est ce que j’essaie de faire, en commençant par le personnage principal Friedriech Saxhaüser, un agent secret SS qui opère en Irak, en août 1939.
N’as-tu pas craint que le choix de personnages principaux nazis pose problème au lectorat ?
Etant lorrain, j’ai beaucoup de contacts avec des Allemands, et travailler dans le domaine de l’Histoire militaire m’apporte de nombreux autres contacts similaires. Donc, au départ, dans la préparation du sujet, je me suis efforcé d’éviter certains poncifs, certains raccourcis, pour essayer de présenter une image aussi fidèle que possible de l’environnement de ces personnes, brosser des tableaux aussi précis que possible de la psychologie des personnages, pour expliquer comment ils pouvaient, à un moment donné, être fascinés par le régime nazi, y adhérer ou s’en éloigner selon les cas de figures, pour montrer que rien n’est strictement noir ou blanc en ce qui concerne cette époque et que les choix effectués furent plus complexes qu’il n’y paraît.
Tes nazis, y compris des très proches d’Hitler comme Saxhaüser, doutent beaucoup dans ton roman. As-tu croisé, au fil de tes recherches historiques, des personnes qui se trouvèrent dans la même situation ?
Oui, bien sûr. Il y en a même qui, du point de vue de leurs doutes réels, ne les ont jamais exprimés, ni du temps du nazisme car ils auraient alors risqué de graves problèmes, mais pas plus après car on aurait alors risqué de remettre en cause leur patriotisme. C’est un des grands sujets du livre, un de ses grands aspects historiques. On a affaire à des militaires, des policiers, des scientifiques, des gens donc qui sont censés œuvrer pour leur pays mais qui doutent en agissent en sous-main.
J’ai envie de donner l’exemple de Werner Heisenberg, le plus marquant à mon avis. Heisenberg était le patron de la physique nucléaire allemande, sans doute un des savants de l’époque qui était le plus en pointe sur toutes les questions liées à l’atome et au développement éventuel d’une arme atomique. Il est aujourd’hui évident qu’Heisenberg a sciemment ralenti la marche de la recherche en Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale pour éviter de donner à Hitler une arme atomique. Un tournant s’opère en 1942 lorsqu’il explique au patron des programmes de développement militaire, Albert Speer, qu’il ne serait pas possible de fabriquer une arme atomique, ou du moins que ce serait très long et très couteux. Ce demi-mensonge a suffit à dissuader les nazis d’aller résolument dans cette direction. Coté américain, les scientifiques n’eurent pas les mêmes scrupules car ils craignaient qu’Heisenberg ne les dépassent en terme de développement.
Donc les gens de l’époque, effectivement, doutaient, il y en avait qui doutaient énormément même. Et pour ce qui concerne Saxhaüser, je dirais que le personnage est un tout petit peu plus complexe que ça encore.
J’ai beaucoup aimé, dans le livre, la galerie de portraits. Parmi ces nazis, il y a des fanatiques, des opportunistes, des brutes, pas les clones habituels. C’est réaliste car non monolithique. Une question : penses-tu intégrer par la suite le personnage de Kersten, médecin d’Himmler qui sauva beaucoup de juifs ?
Je ne vais pas aller dans une direction qui impliquerait Kersten. Il y aura des éléments qui toucheront à l’Holocauste dans le tome 3, mais ce sera pour apporter des précisions historiques, donc en utilisant des personnages qui seront dans ce qu’était le mainstream de l’époque et non ces personnages, minoritaires, qui s’en écartèrent.
Je trouve que le roman est une bonne autant que digeste histoire de la montée du nazisme (appel aux profs d’HG, faites-le lire, NdG). Peux-tu nous expliquer comment tu as fais tes recherches ?
J’ai fait mes recherches dans des livres, pas en archives. Maintenant, alors qu’écrivant le 3 j’arrive à la période de la Guerre Froide, je dois réorienter mes recherches vers les documents d’archives, les documents non publiés. Mais pour ce qui est de la période nazie, j’ai essayé d’utiliser les meilleurs et plus récents documents sur le sujet, que ce soient les biographies des personnages principaux – par exemple la biographie d’Hitler par Ian Kershaw - ou des points spécifiques sur l’
Anhenerbe, les services secrets américains, ou les programmes nucléaires des puissances en guerre.
J’ai voulu aussi recouper toujours les informations car on s’aperçoit que, pour ces personnages complexes dont j’ai essayé de faire ressortir la complexité, au fil du temps l’image qu’en ont les historiens évolue. La manière dont on perçoit par exemple
l’Amiral Canaris, chef des services secrets de l’armée allemande, change aujourd’hui. Après avoir été présenté comme un résistant occulte au régime, il est considéré comme un collaborateur zélé. Je pense qu’encore une fois, la vérité n’est ni toute blanche ni toute noire, à fortiori quand il s’agit des hommes des services secrets.
Le roman contient beaucoup de flashbacks et flashforwards. Pourquoi cette construction ?
Le but est sans cesse d’expliquer le comportement des personnages, de montrer comment ce qu’ils font dans le présent trouve ses racines dans leur passé. Quand au flashforward, ils servent à donner aux lecteurs quelques horizons d’attente, quelques indices sur ce qui est à venir, car la Tétralogie, je l’ai, elle est déjà écrite dans ma tête et je sais vers quoi tout ceci va aller.
Si on dit quelques mots du tome 2, Le marteau de Thor, sans spoiler, il semblerait qu’une troisième force entre en jeu, troisième force liée aux USA même si tout n’est pas encore parfaitement clair. Alors j’ai envie de te demander si tout, partout, et toujours est la faute des USA ?
Justement, non. La base de mon travail, en appelant ça Origines, c’était de dire que les Américains n’étaient pas à l’origine d’une éventuelle rencontre du troisième type. Tout n’a pas commencé à Rosswell. Le livre laisse comprendre que les Américains ont sans doute pris le train en marche. Et si, dans une autre direction, on s’intéresse aux programmes nucléaires, autre thématique importante de la Tétralogie, ces programmes ont été conduits par des Européens. En 1939, les Américains n’ont que de l’argent. Ils en ont énormément, depuis la Première Guerre mondiale, mais ils n’ont que de l’argent.
Je travaille beaucoup sur le volet économique du Troisième Reich, et il faut savoir que, par exemple, DuPont de Nemours était tributaire de firmes comme IGFarben. C’était plus les grandes firmes chimiques allemandes qui mettaient des billes dans les investissements de DuPont de Nemours aux USA que l’inverse. Donc il y avait une relation d’interdépendance entre ces deux pays quand le conflit à éclaté qui explique en partie pourquoi l’Amérique a attendu 41 pour entrer en guerre contre l’Allemagne. Certains Américains craignaient qu’on bombarde des usines en Allemagne avec lesquelles ils auraient partie liée. Je voulais donc montrer la complexité de la position américaine. D’autant qu’une partie de l’intelligentsia US partageait la vision d’une partie de l’intelligentsia européenne qui pensait qu’Hitler était un rempart efficace contre Staline et le communisme. Et que la nazisme, au moins, permettait de continuer à faire du business.
Donc, dans le roman, les Américains n’ont pas encore choisi leur camp, et la Tétralogie va montrer comment ils vont venir sur les plates bandes des Anglais notamment et progressivement prendre cette place qu’ils ont aujourd’hui, une dans laquelle ils jouent les premiers rôles.
Une chose m’a étonné. Tes romans sont plein de flashbacks qui expliquent l’origine des choses et tu évoques l’action T4 sans flashback préalable. Pourquoi ?
Alors, sans spoiler et dire pourquoi on parle de l’action T4
- c’est à dire l’euthanasie des malades mentaux exécutée par le Troisième Reich, qui commence en même temps que la Campagne de Pologne c’est à dire en septembre 39 - l’idée c’était que la scène devait tomber comme un couperet. Donc elle devait arriver de manière inattendue, de l’intérieur, brutalement, sans préparation.
L’heure tourne (Stéphane doit aller signer, NdG). Plus que deux questions donc, hélas. Tu cites à un moment donné Le mythe du XXème siècle de Rosenberg. Crois-tu que beaucoup de lecteurs vont capter la référence ? (Et oui, même en itw, Gromovar est un connard élitiste) ?
Non mais c’est pas grave. Ca sert aussi à montrer au lecteur que des gens écrivaient des best-sellers sur des choses qui sont éminemment condamnables. Quand on voit la polémique récente lancée par JL Mélenchon sur l’éventuelle republication de Mein Kampf, on est en plein dedans. Il faut savoir que des livres abjects ont été écrits, qu’ils circulent aujourd’hui et qu’on peut se les procurer très facilement. Pour moi, le meilleur moyen de les combattre, c’est de les mettre à la disposition du plus grand nombre pour que chacun puisse les voir. Mein Kampf, je m’en suis
servi pour mes recherches, je suis de ceux qui pensent que c’est complètement imbuvable. Ce n’est pas seulement abject, c’est aussi du grand n’importe quoi dans le domaine de la volonté de démonstration, c’est lourd, c’est mal écrit, ça n’a aucune valeur. Autant le montrer à tout le monde et que les gens se rendent compte, parce que les autres, ceux qui adhérent vraiment, eux trouveront toujours un moyen de se le procurer. D’autant qu’il y aura avec un appareil critique si la réédition se fait effectivement.
Dernière question. Deux tomes, deux femmes fortes. C’est volontaire ? Par construction ?
Oui. Absolument. C’est aussi un clin d’œil à l’univers de l’espionnage. Ce sont des sortes de James Bond girls, c’est à dire des jolie filles qui sont aussi des personnages forts à une époque où le monde est masculin à 100%. Après, il faut aussi les rendre crédibles dans ce contexte. Comment imaginer une guerrière à cette époque ? Dans le Marteau de Thor, j’essaie d’en imaginer la version la plus plausible possible. Pour l'héroïne du tome 1, c’est la parcours d’une femme qui souhaite réussir, se faire une place dans un univers masculin. Et il y en aura d’autres bien sûr dans les tomes suivants. C’est volontaire.
Merci beaucoup pour ton temps et à une prochaine fois.
Commentaires
J'avais fait quelques pronostiques sur les auteurs. Et je me vois ravie de constater que je me suis point plantée.
Bref cette entrevue avec Stéphane P. est passionnante, merci.
J'ai hâte d'avoir le tome deux dans mes petites mains.
Et vivement la suite des interviews.
Les créneaux étaient plus petits cette année, d'où des itw globalement plus courtes. Ca fait partie des paramètres que je ne contrôle pas.
Si avec ça l'envie de lire la série de l'auteur ne gagne pas le lecteur... En tout cas, moi, je suis convaincu, merci pour l'interview ! ;)