Je l’ai déjà dit ailleurs, je pense que l’horreur est le genre le plus difficile en BD. La présence du dessin amoindrit la capacité de l’imagination à peupler d’horreur des descriptions écrites par nature toujours incomplètes, et le médium BD manque des effets de mouvement et de son qui facilitent le travail d’effroi du cinéma. Réussir à faire peur en BD est donc une gageure, et un bel accomplissement quand le but est atteint. C’est le cas avec "Emprise", le premier album d’horreur d’Aurélien Rosset qui signe une entrée fracassante dans le club très sélectif des auteurs de BD qui font peur.
Shelter’s Lot, une petite ville du Maine, en 1996. Une énorme tempête, imprévue par la météo, s’abat sur la paisible bourgade rurale, déracinant de nombreux arbres dans la forêt proche. Chase Mingan, un forestier, y est envoyé pour dresser l’inventaire des arbres abattus et des animaux morts. C'est là qu'il découvre par hasard un charnier d’animaux visiblement victimes d’autre chose que de la tempête, avant d’être agressé par une entité qu’il a du mal à distinguer. Deux inspecteurs, Ruiz et Obson, sont mis sur cette affaire à priori bien peu sérieuse, et leurs investigations ne les conduisent pas bien loin. Mais quand un enfant disparaît, la ville commence un chemin de croix qui va la conduire aux limites de la folie, sur fond de vieux secrets qu’il aurait mieux valu enterrer définitivement. Ruiz et Obson entament presque sans le savoir l’enquête la plus étrange et la plus dangereuse de leur carrière.
Disons-le encore une fois, Rosset réalise ici un sans-faute. Logique, cohérente, montant en pression de manière régulière jusqu’à des niveaux vraiment élevés, l’histoire imaginée par l’auteur capture le lecteur et ne le lâche plus jusqu’à ce qu’elle l’ait essoré. On se surprend à lire de plus en plus vite (ce qui nécessitera un second passage pour bien apprécier les graphismes) pour savoir, savoir, savoir. On n’est déçu ni par le nombre des pistes, ni par les révélations, ni par les rebondissements, souvent sanglants. Tourner vite les pages paie et incite à les tourner encore plus vite.
Entre King et Lovecraft avec un chouïa de Sixth Gun, Rosset a imaginé un récit à la fois personnel et respectueux de l’histoire du genre. Si on devait mettre un minuscule bémol, quelques clins d’œil sont un peu faciles.
Sur le plan visuel, les 168 pages du one-shot, réalisées par Rosset lui-même, sont belles. Traits fins à l’encre de Chine, coloration presque monochrome en lavis, taches de lumière qui soulignent l’obscurité environnante, l’ambiance n’est ni à la joie ni à l’espoir. Ajoutons-y des journaux locaux, rapports d’autopsie, carnets de notes, placés en incise entre les chapitres, qui contribuent à donner chair au lieu et à l’enquête.
Akileos publie une fois encore une œuvre de bien belle qualité. On espère que Rosset va vite se remettre au travail et raconter de nouveau, le plus tôt sera le mieux, une histoire aussi prenante à ses lecteurs.
Emprise, Aurélien Rosset
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