La Migration annuelle des nuages - Premee Mohamed

Post-apo intimiste, monde effondré, référence à The Last of Us . Dans La Migration annuelle des nuages suivez les traces d'une jeune femme qui se demande si elle peut quitter sa famille et sa communauté pour répondre à l'appel d'un avenir meilleur. Une lecture très plaisante. Et, oui, c'est bien mieux que The Butcher of the Forest . Je ne peux en dire plus car ma chronique sera dans le Bifrost n° 118, et elle ne reviendra ici qu’un an après la sortie de la revue (c’est à dire, pfff…). Je peux au moins donner le résumé de la couv’ car celui-ci est disponible partout : Une communauté unie est toujours plus forte face aux inévitables effondrements que l’avenir dessine. Celle d’Edmonton, ville en ruines au cœur du Canada, oscille au jour le jour entre rudesse et recherche d’un meilleur confort. Un équilibre que l’apparition du cad, un parasite semi-conscient qui influence le comportement de son hôte, teinte de drame. La vie ne sera plus jamais comme avant, mais ...

Aurora : No place like home

Après presque 170 ans de voyage vécus par sept générations successives, le vaisseau interstellaire (sans nom) dont l’hyperactive Devi est l’ingénieur en chef approche enfin de sa cible, le système Tau Ceti. Vingt ans de décélération lui ont permis de passer de 0,1c à une vitesse autorisant la mise en orbite autour de la lune tellurique de Tau Ceti E, visée car elle est la plus terracompatible des corps du système. Les dernières années ont été éprouvantes, car le vaisseau et les biotopes qu’il abrite accusent leur âge, mais, grâce au travail incessant de Devi, rien n’a pu perturber durablement la belle mécanique. Pour les 2122 humains qui peuplent le vaisseau arche et y ont passé toute leur vie, il n’y a plus qu’à commencer l’installation au sol et la réalisation du rêve de leurs ancêtres : l’établissement d’une colonie humaine permanente hors du système solaire. Hélas, passés les premiers moments de joie, il semble que le rêve tourne au cauchemar. Que penser, que faire, quand l’objectif de toute une vie – un objectif défini et imposé par d’autres, qui plus est – s’effondre ? Comment gérer l’impensé ? Faut-il persévérer contre vents et marées ? Est-ce seulement possible quand on est coincé dans une toute petite bulle de Terre à 12 années-lumière de celle-ci ?

Commençons par crever l’abcès. Dans "Aurora", KSR fait parfois du KSR, c'est-à-dire qu’il sait être ennuyeux et bien peu littéraire. Le début du roman notamment est, certes, informatif mais souvent inutilement long et détaillé - de ce point de vue les digressions sur les phases d’éclairage de la lune colonisée ou les méthodes de franchissement des obstacles sur le sol de celle-ci sont caractéristiques. Il met aussi en scène des personnages humains qui, à quelques exceptions près, sont de carton-pâte ; le focus est technique et scientifique.
Puis ça s’arrange vraiment (voir ci-dessous), et le tout devient aussi passionnant qu’émouvant, avant une dernière partie dont on peut discuter de l’utilité sous la forme (introspective) qu’elle prend et qui, de surcroit, fait étalage d’un symbolisme convenu et d’une naïveté confondante.
Voilà pour la bile.

Mais entre le début un peu lent et la dernière partie décevante, il y a deux tiers d’un très bon roman.

D’abord, KSR a une idée brillante. Il fait raconter l’aventure du vaisseau arche par l’IA qui le contrôle. Les débuts sont hésitants – l’IA ne sait ni identifier les faits saillants, ni user de métaphores, ni lier les biographies aux évènements pour en faire un récit – mais, progressivement, la narration s’améliore, parallèlement à une forme d’humanisation de l’IA ; langage et pensée se répondent. Narrateur presque omniscient, le vaisseau fait l’Histoire en choisissant comment la raconter ; il la fait aussi en y participant directement quand les humains n’arrivent plus à se gouverner eux-mêmes. Il y gagne peu à peu un statut ambigu de « personnage principal », acteur autonome d’une forme inédite de servitude volontaire autant que scalde qui raconte la geste de l'arche au lecteur.
S’interrogeant sans fin sur le statut incertain de sa conscience naissante, l'IA devient une sorte de divinité tutélaire qui s’investit elle-même de la mission de protéger la vie de ses occupants. Elle le fera notamment en se lançant à corps perdu dans une course spatiale à vitesse relativiste qui n’est pas sans rappeler l’inarrêtable fuite en avant de Tau Zero. On y éprouve le même sentiment de vertige - procuré tant par l'incroyable vélocité que par les prodiges de mécanique gravitationnelle auxquels on assiste - et la même impression de toucher au sublime.

"Aurora", c’est aussi la description fine et détaillée ce que pourrait être un vaisseau arche. Ici, deux tores (sous gravité Coriolis) liés par un axe (contenant le gros de la machinerie) abritent 24 biomes reproduisent des biotopes terrestres typiques. Humains (2122 au début du roman) et animaux y vivent dans des conditions d’éclairage et de climat censées reproduire celles des milieux terrestres qu’ils imitent. Par le biais des conversations de Devi, l’auteur introduit le lecteur aux nécessités de l’homéostasie de l’arche et à l’extrême difficulté de la maintenir, en dépit des innombrables mécanismes de recyclage et de récupération des déchets à l’œuvre dans le vaisseau. Il y a des culs de sac métaboliques (des liaisons chimiques dont on ne peut revenir) dans lesquels vont se perdre certains éléments vitaux, provoquant simultanément l’épuisement de ressources précieuses et l’accumulation de déchets nocifs. Les vitesses d’évolution très différentes entre animaux supérieurs et microorganismes endémiques engendrent aussi des conséquences néfastes. Faire fonctionner 24 écosystèmes en vase clos est donc un exploit surhumain que le temps rend chaque jour plus difficile. On peut ralentir l’entropie, pas l’arrêter. La vaisseau arche a une date de péremption.
Il est difficile de lire la dégradation progressive des biotopes sans y voir une métaphore poignante, et involontaire peut-être, de la dégradation de l’environnement terrestre. La petitesse du vaisseau, sorte d’île de Pâques volante, fait que ses limites sont vite atteintes ; beaucoup plus vaste, la Terre a plus de temps, mais celui-ci non plus n’est pas infini.

"Aurora, c’est encore la mise en évidence des lourdes contraintes qu’implique la survie d’un groupe limité d’humains en milieu clos et isolé. Outre les contraintes techniques évidentes, la vie sociale et politique doit être strictement régulée. Reproduction, éducation, choix du métier ou du lieu d’habitation, tout est soumis aux nécessités de la perpétuation du vaisseau. Ne pas être trop nombreux pour ne pas tirer trop sur les ressources, ne pas se trouver en pénurie de compétences ou d’activités, ne pas manquer des spécialistes nécessaires dans chaque domaine. Pour les humains du vaisseau la liberté individuelle est un luxe qui mettrait en péril le groupe. Elle n'existe que pour ces moments rares et ces décisions minuscules qui n'ont pas d'incidence sur la vie de l'ensemble.
Et pas de politique ; il n'y aucun choix à faire, juste survivre et aller de l'avant. En l’absence de gouvernement centralisé et sous le parapluie protecteur du vaisseau, les humains, tous égaux, vivent dans un état paradoxal de quasi anarchie fermement contraint par les règles établies de la survie. Lorsque, l’échec venant, de vraies décisions politiques devront être prises, ces adultes, qui ne sont que des enfants autonomes dans un bac à sable géant, n’auront ni les structures ni la culture nécessaires pour ce faire et basculeront vite dans la violence politique.

"Aurora", c’est enfin le désarroi tragique d’une génération qui doit réaliser un rêve qu’elle n’a pas conçu et craint de voir s’enfuir celui de vivre enfin à l'air libre, délivrée des limites du vaisseau. Une génération qui porte un fardeau légué par d'autres, subit les affres lentes et insidieuses d’une régression due à l’insularité, et doit faire, pour la première fois, des choix de vie ou de mort dans un contexte de division forte. Une génération, hélas, dont les options les plus évidentes sont mourir et/ou faillir.

Le tout fait un roman qui, s'il n'est pas parfait, est aussi riche que passionnant. On ne peut que plaindre ces Robinsons de l’espace qui ne s’y sont pas échoués mais y sont nés. On est captivé par les défis techniques qui se posent au vaisseau et à ses occupants, ainsi que par les enjeux énormes qui se font jour quand les choses basculent. On est séduit par la naissance d’une conscience artificielle qui tire son essence de ses actes et utilise pour le bien commun les grands pouvoirs dont elle dispose, IA qui philosophe dans le néant et donne un exemple émouvant de dévouement, de bienveillance, et d’aptitude au sacrifice. On est happé, comme dans un excellent thriller, par l’enchainement des évènements, et on retient son souffle dans l’attente anxieuse de leur résolution. On comprend que, pour Kim Stanley Robinson, « there is no place like home », et que cette maison il faut la préserver si on veut pouvoir y vivre.

Aurora, Kim Stanley Robinson

Commentaires

arutha a dit…
C'est bien tentant quand même,l'idée de base étant très attractive. Seulement voilà, moi aussi j'ai parfois (souvent ?) trouvé KSR un poil ennuyeux...
Gromovar a dit…
Pareil ici. Mais il y a dans Aurora, par la force des choses, une énergie importante. Ca se tente.
Lhisbei a dit…
J'ai laissé tomber KSR avec "Le rêve de Galilée" alors que le sujet m'intéressait vraiment. Si ce livre est traduit, je ne crois pas que je le lirais.
Je te le compte pour le SSW III
Gromovar a dit…
C'est vrai, j'ai oublié. Merci :D
Lorhkan a dit…
Intéressant, très intéressant même, si ce n'est le fait que ce soit KSR aux manettes. A voir si une traduction déboule...
Gromovar a dit…
Je ne suis pas vraiment pas amateur de KSR habituellement, mais là, en dépit de lenteurs certaines, il y a vraiment quelque chose.
Vert a dit…
Le sujet a l'air fort intéressant, on verra si traduction. J'imagine que c'est un beau pavé ?
Gromovar a dit…
Grosso modo 500 pages. Pas si gros que ça.
Vert a dit…
Ah oui pour cet auteur c'est même carrément court xD