Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Un Radeau de la Méduse spatial

"Slow Bullets" est une novella du maitre de la SF Alastair Reynolds, connu pour avoir créé un colossal univers, celui de l’Espace de la Révélation. Elle sera publiée par Tachyon.

Une guerre a déchiré des centaines de mondes. Eux contre les Autres. Leur Livre contre celui des Autres. Des différences minimes dans les textes, mais suffisantes pour qu’on s’entretue à leur propos. L’éternelle histoire.

Et voilà que, juste avant le début du livre, la paix est signée. Scur, guerrière enrôlée contre sa volonté, pense voir enfin le bout du tunnel. Hélas pour elle, elle croise, dans ces moments incertains entre guerre et paix, le criminel de guerre Orvin qui la capture et s’apprête à lui faire subir une mort ignominieuse. Tout s’enchaine alors très vite. Scur croit d’abord mourir - en Augustin Trébuchon de l’espace - sous les tortures d’Orvin, puis être sauvée quand celui-ci s’enfuit à l’arrivée des Pacificateurs, avant de sortir d’hibernation dans un vaisseau de transport, le Caprice, sans se rappeler y être jamais montée. Pour Scur, comme pour ceux qu’elle voit, bien énervés autour d’elle, c’est un réveil brutal et visiblement imprévu qui remet en contact des gens qui ne s’apprécient guère.

Soldats des deux camps de retour vers la vie civile, criminels de guerre ou traitres, équipage civil, tous comprennent vite la situation. Le vaisseau, endommagé, n’est pas où il devrait être, et il est impossible de contacter la civilisation. Problème de saut supraluminique peut-être (et oui, Reynolds utilise ici cette bonne vieille FTL), survenu pendant l’hibernation. Pour les naufragés de l’espace coincés sur leur Radeau de la Méduse interstellaire, il faut comprendre ce qui s’est passé, puis tenter de rejoindre la civilisation en évitant de s’entretuer avant l’arrivée.

A priori l’histoire est simple et claire : un vaisseau en perdition doit retrouver le port. Et pourtant Reynolds, en vieux briscard, réussit à surprendre et à intriguer.

Qui sont les soldats, qui sont les criminels ? Pourquoi les uns et les autres sont-ils à bord ensemble ? Où est le Caprice et que lui est-il arrivé ? Le récit progresse au fil de nombreux rebondissements. Les personnages ne sont pas toujours ce qu’ils semblaient être. La direction que prend l’histoire change au fil des découvertes.

Et puis, il y a quelques réflexions intéressantes. Comment terminer une guerre ? Peut-on pardonner à l’ennemi ? Comment savoir qui est l’autre, et même qui on est soi-même quand la mémoire peut être manipulée ? A qui s’associe-t-on, de qui devient-on ami, en un temps de grand péril ? Comment construire l’avenir et aller de l’avant ? Faut-il oublier, effacer le passé, s’oublier soi-même ? Faut-il garder le meilleur seulement ? Si oui, qui choisit ? Et, plus important encore dans le cas des naufragés du Caprice, comment faire ?

Quel est le devoir, enfin, de tout homme envers la civilisation, l’Histoire, l’Humanité, si dispersée dans les étoiles soit-elle ?

Finalement, c’est une histoire passionnante que livre Reynolds. Enormément d'idées dans peu de mots.

Tiré par l’intrigue, allant de surprise en surprise, le lecteur tourne les pages à toute vitesse, et il n’est jamais déçu par l’originalité de ce qu’il rencontre. On regrettera seulement quelques transitions du narrateur Scur qui semblent trop sentencieuses par rapport à ce qu’elles annoncent. C’est mineur.

Slow bullets, Alastair Reynolds

Commentaires

Anudar a dit…
Je suis intéressé ! Où trouve-t-on cette novella ?
Gromovar a dit…
Précommandable (un peu cher 15€) sur Amazon France.
bonome a dit…
et en français ? c'est prévu ? parce que c'est mon genre de came :p
Gromovar a dit…
Aucune idée. Reynolds est bien traduit chez nous mais c'est une novella (190 pages environ) ce qui limite le marché.
Wait and see.
Lorhkan a dit…
Reynolds va être à nouveau traduit par Bragelonne, alors on ne sait jamais. Mais bon, c'est vrai que les novellas, en France...
Gromovar a dit…
Mais je pense que celle-là est très facile à lire en VO.