Sur Roche-Nuée, un grand promontoire en forme de champignon qui surplombe les inquiétantes Terres-Mortes, vivent la Famille Jour et la Famille Nuit, deux groupes lignagers restreints cohabitant dans une paix méfiante.
La Famille Jour habite dans des yourtes et chasse de jour, les Nuits vivent dans des grottes et sont actifs la nuit. Sous les auspices du céleste Dieurouge et des mânes de leurs ancêtres, ils se partagent, sans s’y croiser, une forêt et un lac, écosystème borné par les limites du surplomb. Est-on dans le passé ? Ou plus tard, après un cataclysme ? Impossible à dire. En tout cas, c’est primitif.
Les deux clans, issus d’un groupe cavernicole unique que sa taille a forcé à la division, partagent une même culture. Résolument endogames, les Familles pratiquent le mariage exclusif dans le clan (ce qui n’est pas très original dans ce type de groupes), auquel elles ajoutent (ce qui est presque inédit) le mariage exclusif entre parents proches. Les couples formés et légitimes sont donc frère/époux et sœur/épouse, voire si besoin fils/époux et mère/épouse. Le tabou de l’inceste n’est pas seulement violé ; l’inceste est une prescription culturelle. S’y ajoute le cannibalisme mortuaire. Les femmes ingèrent les morts du clan, fermant ainsi encore plus un cercle absolument tourné vers l’intérieur et la reproduction à l’identique.
On peut imaginer qu’un tel mode matrimonial accumule les mutations récessives et provoque la naissance fréquente d’enfants imparfaits. C’est le cas. Les Familles nomment
indésirés ces enfants et les jettent dès leur naissance par delà le bord du promontoire vers les Terres-Mortes, ou plus tard, dans l'enfance, si le handicap ne se révèle qu’après.
Le narrateur du roman est un
indésiré, nain au sexe indéterminé que le caprice d’un frère a sauvé de la mort. Il est l’ombre de son frère (il prendra le nom d’Ombre par la suite mais au début il n’en a aucun), celui dont nul ne doit accréditer la présence car sinon il faudrait qu’il meure. Sa survie ne tient qu’à son inexistence formelle. Toujours aux basques de son frère Argile dont il n'est que la silhouette silencieuse, Ombre (nommons-le ainsi) a grandi dans la solitude complète qu'amène l’absence de tout contact relationnel.
Vient qu’un jour, à la chasse, Argile rencontre Tilana, une chasseuse de la Famille Nuit. L’inévitable se produit. Les deux jeunes tombent amoureux, violant ainsi le plus grave tabou de leurs clans respectifs. De fil en aiguille, et comme prévu par les Arrières Grands Mères (les sages des deux clans matriarcaux), malheur et mort résulteront de cette transgression. Ombre, qui n’y peut rien, se retrouve au cœur des bouleversements que les actes d’Argile et Tilana ont mis en branle. Il découvrira alors ce qu’il y a dans les Terres-Mortes, y trouvera un foyer et un nom, gagnera en assurance et respect, puis prendre sa vie en main, et pas seulement la sienne.
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Roche-Nuée" est un roman de fiction anthropologique qui rappelle les écrits d’Ursula Le Guin. Roman initiatique, il donne à voir deux passages. De l’enfant qui n’aurait pas dû vivre à l’adulte autonome et de l’essence à l’existence.
C’est aussi un roman fonctionnaliste. La fonction y crée l’organe. L’un des personnages le pose de manière explicite.
C’est donc, à priori, un roman intéressant.
Et pourtant je m’y suis un peu ennuyé. L’étroitesse du terrain de jeu et le peu de marge de manœuvre qui en découle en sont la cause. C’est un univers taille aquarium que nous propose Kilworth. Tout y est trop peu, le terrain, les sociétés, les obstacles et leur résolution, les personnages – sauf peut-être cet Ombre qui, tout nain qu’il soit, n’a rien du priapique Tyrion. J’aurais aimé que la taille du roman m’emporte. Elle ne le pouvait pas. Parfois un petit nombre de pages n’est pas la meilleure idée.
Roche-Nuée, Garry Kilworth
L'avis de
Nebal
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