Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Nouveaux droits civiques


Rappelons très brièvement que Brunschwig et Hirn commencèrent, il y a bientôt vingt ans, une excellente série de BD d’anticipation politique en 5 tomes intitulée « Le pouvoir des innocents ». Presque dix ans après la fin de la série, ils revinrent avec deux séries suites : « Car l’enfer est ici », immédiatement après les évènements du Pouvoir des Innocents et l’arrivée à la mairie de New York de la très sociale Jessica Ruppert, et « Les Enfants de Jessica » qui démarrent dix ans après, alors que Ruppert est entrée au gouvernement américain et qu’elle va tenter d’y mener la même politique qu’à NY, mélange de Care et d’Empowerment, inspirée par les nécessités d’une nation ravagée par les effets d’une crise économique autant due aux effets de la globalisation combinée à la perte du leadership technologique qu’aux dépenses exorbitantes de plusieurs interventions extérieures au Moyen-Orient.

Dans le tome 2 des Enfants, "Jours de deuil", Jessica propose un plan de révolution institutionnelle en 200 réformes. D'occultes groupes de pression travaillent avec énergie pour l’empêcher d’y parvenir, y compris en l’éjectant de la vie politique, manipulant sans vergogne groupes paramilitaires et dirigeants politiques.
La violence règne dans les rues d’une Amérique de plus en plus divisée entre ceux qui ont et ceux qui n’ont rien, et une nouvelle forme de « lutte des classes » a remplacé la « lutte des races » (avec un choix de personnages fort judicieux). Et la violence politique, plus policée, n’est pas moindre. Une nouvelle marche vers Washington permettra-t-elle de forcer la transformation d’une société de plus en plus inégalitaire ?

Le récit de Brunschwig, solidement charpenté, est aussi dur qu’il le faut pour faire appréhender au lecteur l’urgence du moment et la division qui fracture les USA. Peu amateur des œuvres trop ouvertement militantes, je suis d’abord tenté de trouver que l’histoire est outrée et que l’auteur en fait un peu trop dans le souci de démontrer. Puis je me souviens de l’opposition violente et haineuse à laquelle se heurte Obama depuis sa prise de fonction, de l’accusation de « communisme » à laquelle il fait régulièrement face, des affadissements qu’il a dû apporter à son projet de « Sécurité Sociale » sous les coups de boutoir d’une opposition vent debout. Et je me dis qu’après tout… J’apprécie donc.
On oubliera juste la première scène, très peu crédible sur le plan économique. Parfois le désir de démontrer conduit à dire des bétises.

Le dessin de Hirn, pastel, est agréable. Très bien encré, il donne des traits expressifs et reconnaissables même aux personnages au second plan ce qui est toujours appréciable. La couverture, superbe, cercueil des victimes d’attentat sur fond de bidonville géant aux portes de New-York, résume parfaitement l’album et ses enjeux.

Brunschwig, Hirn, Les enfants de Jessica, t2, Jours de deuil

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