Les Yeux Doux - Corbeyran - Colline

Futur indéterminé et résolument glauque. Arsène travaille à la chaîne dans une usine du conglomérat Atelier Universel. « Travaillait » devrais-je dire car, pour avoir pris une initiative afin de corriger une erreur de production, Arsène est renvoyé dès le début de l'album. On ne plaisante pas avec la hiérarchie dans le système tayloro-fordiste de l'Atelier Universel ; FW Taylor lui-même disait  : « On ne vous demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela. » Privé de son emploi, Arsène, qui vit avec sa sœur cadette Annabelle dans un tout petit appartement, devient vite invisible. Physiquement invisible car invisibilisé socialement par la perte de son statut dans un monde qui définit les êtres par leur place dans le système de production. Et la situation va encore s'aggraver pour le frère et la sœur. Anatole Souclavier, lui, travaille pour Les Yeux Doux, le système de surveillance global par caméra qui épie en permanence les citoyens (sujets?) af...

Novellas aux cinq délices


Continuons ici la petite virée, entamée le 25 mai dernier, dans l’œuvre de Liu Cixin, le plus populaire, en Chine, des auteurs SF chinois.

Je chronique ici trois novellas primées : "Sun of China", "Devourer", "The wandering Earth".
On retrouve dans ces trois textes le mélange étonnant, et pas toujours homogène, entre des éléments de Hard-SF à l’occidental contemporain et du merveilleux peu plausible à la Golden Age.

On y assiste à des tentatives prométhéennes de jouer à Dieu, en changeant l’ordre de l’univers, qui rappellent irrésistiblement  les délires avérés du type « utilisation de bombes nucléaires pour des travaux de terrassement ».
On y constate que les sociétés et les gouvernements que décrit Liu acceptent implicitement la destruction à grande échelle de l’écosphère et de la biosphère, et qu’ils placent leur confiance dans la science et son pouvoir de remodelage de la réalité pour le mieux, quel que soit le prix humain et global ; et néanmoins, des traces de sentimentalisme étonnant surnagent parfois.
On y voit des personnages principaux, trop peu décrits pour être attachants, souvent génériques mais toujours membres d’une famille.
On y trouve aussi l’omniprésence de la Chine comme puissance dominante, voire unique, du monde. Il est amusant de voir qu’après que les occidentaux aient battus leur coulpe pendant des décennies sur leur européocentrisme, un auteur chinois vient leur enseigner le sinocentrisme, démontrant ainsi de manière éclatante que chacun voit bien midi à sa porte et qu’il n’y a guère que les occidentaux pour mettre une énergie constante à tenter de ne pas voir la leur en se mettant à la porte des autres.

Etrange mélange de nombreuses carpes et de nombreux lapins dans les textes d’un auteur qui a visiblement lu et digéré une bonne partie de l’Histoire de la SF mondiale sans cesser d’être éminemment chinois, et qui offre aux lecteurs une SF visiblement jeune et en recherche d’identité mais dont on peut dire que les « débuts » sont prometteurs. Il faudra pour progresser apprendre vite à écrire des personnages.

"Sun of China", Galaxy Award 2002, raconte, à travers le destin d’un jeune paysan chinois, le trajet de la Chine d’une agriculture traditionnelle à l’industrie spatiale. Il montre la réalisation de projets grandioses et la banalisation de l’espace comme lieu de travail. Il montre enfin comment quelques aventuriers tentent de réenchanter le rêve spatial en partant vers l’infini et au delà sur une embarcation de fortune. Stephen Baxter ?

"Devourer", Galaxy Award 2002 (?), est un étrange mix entre Le jour où la Terre s’arrêta et la saga de Galactus. On y voit l’ingéniosité et la combativité de l’humanité, on y entend un discours darwinien naturalisant et généralisant à l'univers entier le struggle for life, on y assiste à un twist assez inattendu jouant sur l’éternel retour, et on y découvre que la condition d’esclave élevé pour sa viande n’est pas si inconfortable que ça pourvu que le « bétail » soit bien traité.

Dans "The wandering Earth", Galaxy Award 2000, la Terre (entière), propulsée par des réacteurs gigantesques alimentés en brulant des quantités titanesques de minerais, tente de fuir la transformation du soleil en géante rouge. Sauver une part de l’humanité en sacrifiant largement la Terre ; c’est le deal ici. Les épreuves vécues, les pertes subies, et l’inquiétude ressentie, amèneront à une révolte « bien sotte » contre les savants et le gouvernement car, au final, il s’avèrera qu’ils avaient raison d’agir comme ils l’ont fait et que tous les sacrifices étaient justifiés. Force aurait du rester à la Loi, à l'Ordre, et aux Anciens.

Sun of China, Devourer, The wandering Earth, Liu Cixin


Ces nouvelles participent au Challenge JLNN

Commentaires

Anonyme a dit…
Bon, je vois que tu as bien entamé l'oeuvre de Liu Cixin! Si tu as aimé, le meilleur reste à venir:

je conseille vivement "Ball Lightning", le recueil de nouvelles "Wandering Earth", mais surtout "Trisomy", dont je t'ai déjà parlé et qui est en cours de traduction.

Le concept de "Dark Forest Theory" qui est développé dans le troisième tome constitue une réponse intéressante au paradoxe de Fermi et est peut-être révélateur du pragmatisme à la chinoise:

http://www.sffworld.com/forums/showthread.php?23403-Chinese-SF-hot-topic-%93Dark-forest-theorem%94

http://en.shiyuhang.org/2011/12/dark-forest-theory/

Verti
Anonyme a dit…
Pour ce qui est de l'écriture des personnages, c'est malheureusement le gros point faible de l'auteur, et ça ne s'arrange pas vraiment dans ses autres romans, surtout les personnages féminins...
Gromovar a dit…
Je te remercie pour tes conseils.

Je fais dans l'immédiat une pause anglo (plus une ou deux couillonnades de policier médiéval que je ne chroniquerai pas), mais j'y reviendrai sous peu avec sans doute ce dont tu m'as parlé.

Stay tuned :)