Les Yeux Doux - Corbeyran - Colline

Futur indéterminé et résolument glauque. Arsène travaille à la chaîne dans une usine du conglomérat Atelier Universel. « Travaillait » devrais-je dire car, pour avoir pris une initiative afin de corriger une erreur de production, Arsène est renvoyé dès le début de l'album. On ne plaisante pas avec la hiérarchie dans le système tayloro-fordiste de l'Atelier Universel ; FW Taylor lui-même disait  : « On ne vous demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela. » Privé de son emploi, Arsène, qui vit avec sa sœur cadette Annabelle dans un tout petit appartement, devient vite invisible. Physiquement invisible car invisibilisé socialement par la perte de son statut dans un monde qui définit les êtres par leur place dans le système de production. Et la situation va encore s'aggraver pour le frère et la sœur. Anatole Souclavier, lui, travaille pour Les Yeux Doux, le système de surveillance global par caméra qui épie en permanence les citoyens (sujets?) af...

Schismes


"Manhattan in reverse" est un recueil de nouvelles et novellas de Peter F. Hamilton publié en français par Bragelonne sous le titre Manhattan à l’envers.

En 1998, Peter F. Hamilton publiait « A second chance at Eden », recueil de nouvelles dans lequel il brossait en sept récits l’Histoire de la Confédération de « L’Aube de la Nuit », décrivant son évolution de 2070 à 2586. Le lecteur voyait ainsi se dérouler sous ses yeux la transformation d’une société qui changeait de manière drastique, techniquement et politiquement. Pérégrinations spatiales, colonisations de planètes avec créations de sociétés multi ou mono culturelles, modifications génétiques radicales avec l’introduction du gène d’affinité, chez Hamilton le progrès technique ouvre des possibilités qui changent les modes de civilité (l’infrastructure conditionne la superstructure, et oui…) et sur lesquelles s’opposent, parfois très violemment, enthousiastes et inquiets, conservateurs et progressistes. Il était assez fascinant de voir une Histoire du futur s’écrivant, allant d’un pas ferme vers ce que lecteur connaissait déjà : la société multiplanétaire de la Confédération.

Aujourd’hui, Hamilton refait un peu la même chose avec "Manhattan à l’envers", mais pour une autre société et pas complètement.
De nouveau sept récits. Encore une attention à l’accumulation des détails matériels qui immergent le lecteur dans le monde créé par l’auteur. Toujours les mêmes questions qui irriguent toute l’œuvre du colossal créateur de monde qu’est Hamilton : Quelles sont les conséquences de la spatiopérégrination ? Comment réagit l’Humanité à la possibilité de recréer de l’homogénéité culturelle ?  Comment intégrer les modifications biologiques de l’espèce humaine ? Comment faire cohabiter partisans et adversaires de l’évolution biologique manufacturée ?

En regardant pousser les arbres est une belle uchronie dans laquelle l’empire romain ne s’est pas effondré. Les membres des familles patriciennes, anciennes ou plus récentes, ont acquis une longévité de plusieurs siècles. Elles se partagent le monde, un peu comme des mafias. Guerre et violence sont devenues impensables, tout se réglant par des négociations à haut niveau entre représentants des familles. L’empire est apaisé, il n’a pas connu l’effondrement, il est donc scientifiquement en avance sur notre monde.
Un meurtre mystérieux commis sur la personne d’un membre d’une des grandes familles est le point de départ d’une enquête qui s’étalera sur deux siècles. Conduite par le même enquêteur sur toute sa durée , elle progressera au rythme des avancées scientifiques (et donc médico-légales) et donnera au lecteur l’occasion de voir progresser à pas de géants une société qui se dirige vers la post-humanité de manière décidée. Elle lui posera aussi la question de la capacité de l’esprit humain de résister à des changements fondamentaux, ainsi que la question essentielle du fonctionnement d’une société dans laquelle la production ne nécessite quasiment plus de travailleurs. A l’heure des premières imprimantes 3D grand public, c’est une question que nous devrions tous nous poser.

Footvote (très mal traduit « Un électorat qui marche », alors que c’est une expression libérale qui signifie « Voter avec ses pieds », autrement dit « Aller là où on pense qu’on pourra vivre mieux », ou dans le domaine de la consommation « Aller dans le magasin qui vend le produit qui correspond le mieux aux besoins du consommateur et quitter celui qui vend le produit qui le satisfait moins »). On y voit une partie de la population anglaise quitter le pays et la planète via un trou de ver artificiel ouvert par un politicien qui veut recommencer à zéro, fonder une utopie ailleurs, utopie dont il tient à l’écart toutes les personnes qu’il juge nuisible au type de société qu’il veut créer. A travers l’histoire de deux ex-conjoints, Hamilton pose la question d’Hirschman « Exit, voice or loyalty ? », rester et faire avec, protester, ou partir ? Et quelles conséquences pour ceux qui restent ?
Ce thème revenant très souvent dans son œuvre, on peut penser qu’Hamilton juge, à juste titre imho, que si l’exit devenait possible, beaucoup seraient tentés d’essayer un nouveau départ, y compris, ou peut-être surtout, en recréant de toute pièce des communautés homogènes culturellement.

Ce sont deux très bons textes.
Les cinq autres nouvelles sont moins marquantes, même si aucune n’est déplaisante à lire. On y verra l’opposition Advancer/Higher (utilisation ou non des systèmes biononiques) décrite dans le cycle du Void. On y retrouvera deux fois Paula Myo, l’enquêtrice GM du cycle du Commonwealth, notamment dans l’intéressante « The demon trap » où apparaît la première conscience distribuée créée dans le Commonwealth (même si à mon avis, Vinge a fait dans ce domaine mieux et plus efficace dans « Un feu sur l’abime »). Fans de la dame, ruez-vous !

Manhattan in reverse, Manhattan à l’envers VF, Peter F. Hamilton

Cette lecture participe au Challenge JLNN


Commentaires

Anudar a dit…
Moi, j'aime bien Paula Myo. Et donc tu m'allèches.

Dispo en poche en VO ou pas encore ?
Jérémie a dit…
Bonsoir et merci pour cette chronique, ça me donne envie de lire ce recueil ! D'autant que je n'ai encore rien lu d'Hamilton.
L'exit est bien tentant ma foi, mais serions-nous capables de créer quelque chose qui serait fondamentalement différent de ce que l'on connaît déjà ? J'aime à le croire mais je me pose la question...
Au fait, qu'entends-tu par l'expression post-humanité ?
Jérémie
Lorhkan a dit…
Alléchant tout ça !
Lisible et pleinement appréciable même sans avoir lu d'autres Hamilton ?
Gromovar a dit…
@ Anudar : Oui en paperback à 6$

@ Jérémie : Chez hamilton, l'exit sert de remise à zéro sur une planète où on repart à neuf, parfois juste entre soi. On parle de post-humanité quand la conscience humaine quitte le support matériel pour s'incarner dans des mémoires informatiques, des robots, des corps biologiques très modifiés par rapport aux notre, etc...

@ Lorhkan : Je pense que oui. Je te conseille néanmoins de lire L'Etoile de Pandore et Judas déchainé. C'est son cycle le plus court et le plus intéressant.
Herbefol a dit…
Concernant "Un électorat qui marche", ce titre fait écho à "Crétins en marche", un texte de Kornbluth. "Voter avec ses pieds" ne satisfaisait ni l'éditeur, ni moi-même (le traducteur).
Gromovar a dit…
Je comprends la raison mais je persiste à penser que l'expression existant en français et étant couramment utilisée (du moins dans certains cercles ;) avec le sens qui est précisément celui de la nouvelle, il aurait été sensé de l'utiliser.

Après... C'est pas moi qui décide.