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Grandville Bête Noire" est le troisième tome de la très bonne série Grandville.
Steampunk, uchronique -
je l’ai déjà écrit précédemment - elle est surtout brillante, par la qualité de ses dessins et de sa mise en couleur, tout autant que par celle de ses scénarios, complexes, fouillés, sérieux et drôles à la fois.
Ici il est question d’une tentative de coup d’Etat dans la France post révolutionnaire. Quelques ploutocrates sans scrupule décident, je cite, «
d’agir contre le peuple pour le bien du peuple », et fomentent un noir complot pour cela. Grumf !
Appelé à l’aide par son ami le détective Rocher après le meurtre en chambre close d’un peintre célèbre, l’inspecteur Grandville se rend en France pour tenter de démêler l’écheveau de l’affaire. Il tombe au cœur d’une machination haute en mystères, en action, et en rebondissements.
Dans l’album on découvrira un Paris dans lequel les socialistes historiques vont gagner les élections au grand dam de richissimes citoyens qui craignent d’être taxés plus, d’être nationalisés, de devoir respecter des législations environnementales (ça ne vous rappelle rien ? pourtant Talbot n’est pas français). On visitera une France qui rêve d’égalité mais maintient dans un statut d’infériorité proche de l’esclavage les « doughfaces, ou visages de pâte », humains ou humanoïdes issus d’autres BD. On rencontrera ainsi dans les pages de Bête noire, entre autres, le majordome Nestor, des Schtroumpfs, Spirou, etc ; il leur est même conseillé de retourner à Angoulême (la date s'y prête). On se promènera avec plaisir de référence en référence, croisant au fil des pages le marchand de canon Krupp,
un perroquet mort, une sorte de
Q James Bondien, des scientifiques mettant au point des armes de destruction dans l’ingénuité la plus totale, une femme française évidemment frivole et infidèle, une prostituée franchement séduisante et qui ne manque pas d’air, une utilisation « innovante » des
colonnes Morris, le cabaret du
Lapin agile, de nombreux peintres du début du siècle dont les noms rappellent des noms connus (y compris une déformation de Jackson Pollock), des tenants de l’art nouveau rappelant les surréalistes, le
pétomane, etc. Ajoutons à cela des gags visuels amusants, les « gorilles » garde du corps qui sont de vrais gorilles, un poulet nommé Pollo, et une interprétation innovante d’une théorie (développée en postface) selon laquelle les tenants du grand capitalisme auraient encouragé l’art non figuratif pour empêcher le développement d’un art figuratif de propagande prolétarienne.
J’arrête là ; cet album est une mine d’or. Il faudra aller voir par vous-mêmes. Ne pas le faire serait perdre une très belle occasion de prendre un vrai plaisir de BDphile, et ceci même si, dans la description des conspirateurs, le trait est un peu forcé.
Grandville, Bête Noire, Bryan Talbot
Cette lecture participe au
Challenge Winter Time Travel
Commentaires
De ce côté là j'ai abandonné tout espoir et quitté le navire. J'ai fait pareil pour la fin de Rex Mundi.