Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Notre frère en Christ


"IF 837", de Jean-Michel Calvez, est un roman de SF de la jeune maison Atria.

Dans un avenir indéterminé, l’humanité a essaimé dans la galaxie. Le KOALA, une administration humaine dotée de trois vaisseaux spatiaux aux noms évocateurs (le Darwin, le Cuvier, et le Buffon), est chargée de répertorier et de classifier les espèces humanoïdes rencontrées pour leur accorder, ou pas, un statut porteur de droits, en fonction de leur intelligence observée et de la capacité à évoluer qu’on leur reconnaît.

Sur la planète IF 837, monde primitif recouvert d’une jungle omniprésente, une expédition de premier contact a été endeuillée par un « accident », impliquant les humanoïdes locaux et des animaux de la jungle, qui couta la vie à deux des trois explorateurs. Mais la mission doit continuer et les humanoïdes être évalués. Le KOALA doit donc retourner dans la jungle d’IF 837 pour tenter d’établir un contact plus fructueux avec les autochtones, au prix de périls qui ne cessent d’augmenter et alors que les morts s’accumulent. Comprendre, analyser, survivre, c’est ce que doivent tenter faire les humains du KOALA, loin de leur base, avec des moyens limités, sur un monde hostile et qu’ils ne comprennent pas.

"IF 837" est un roman que je qualifierais de bon « Fleuve Noir Anticipation ». Il en a les défauts et les qualités et, comme tout bon FNA, se lit rapidement avec plaisir.

Evacuons d’abord les défauts. Il y en a deux me semble-t-il. D’une part le premier quart du roman est haché du point de vue narratif par une trop grande quantité de détails techniques pas vraiment utiles à la narration, et présentés en sus du récit comme des précisions au lieu de devenir des objet du décor décrits comme tels dans le fil de la présentation des scènes. D’autre part, le world building est minimal, la situation politique et sociale presque inexistante. On ne sait pas grand chose sur le monde qui a envoyé ces gens sur IF 837 ; c’est un point que je regrette toujours. Puis, étonnamment, au fil des pages, il m’a semblé que le caractère étique du contexte participait subtilement à renforcer le sentiment d’isolement dans lequel évoluent les protagonistes de l’affaire et qu’il devenait donc un point positif du roman. Choisis ton camp, lecteur, je n’ai pas su trancher.

Pour les qualités, "IF 837" est d’abord un thriller efficace. Si je m’en tiens à la traduction de to thrill comme frissonner de peur ou d’excitation, alors le roman touche sa cible. Si je reprend la définition, que donnait il y a peu Georges Panchard aux Utopiales, du thriller comme roman dans lequel on s’inquiète de savoir si un personnage ou un très petit nombre de personnages vont parvenir à échapper à l’événement horrible qui leur est promis, c’est aussi une réussite. "IF 837" est, passé le début technophile un peu laborieux, tout à la fois intrigant, inquiétant, exaltant. On lit de plus en plus vite, pressé qu’on est par la volonté de savoir ce qui se passe réellement sous la canopée d’IF 837 et si les humanoïdes autochtones sont, ou pas, des candidats possibles à une « reconnaissance d’humanité ». S’ajoute rapidement une autre question, alors que le tension monte, « Qui survivra à l’expédition ? ».

Le gros de ces trois derniers quarts du livre compte une quantité impressionnante de conversations dont la finalité est, pour les protagonistes du récit, de comprendre ce qui leur arrive, et qui entrainent le lecteur dans une interrogation vivifiante et de bon aloi sur les critères d’humanité et sur les dérives de l’anthropocentrisme (on a souvent envie de s’adresser aux personnages pour leur parler des Traekis d’Elevation ou des Marionnettistes de l’Anneau-Monde). Développant et remettant en cause les théories de Spearman sur les facteurs d’intelligence, montrant qu’il est nécessaire de conserver un esprit ouvert face à une recherche d’intelligence qui ne peut être qu’un processus de Markov, le texte est aussi et surtout traversé par les mânes de ce Bartoloméo de Las Casas qui écrivit : « Dieu a une providence très singulière pour la nature humaine ; il a un souci singulier des hommes formés à son image et à sa ressemblance ». Quid des Traekis et des Marionnettistes alors ?

Inquiétant et captivant, "IF 837" est d’une lecture très agréable et invite, de plus, le lecteur à réfléchir ce qui ne gâche rien.

IF 837, Jean-Michel Calvez

Commentaires

Blop a dit…
Comme à mon habitude, j'ai l'impression de n'être jamais allée à l'école quand je lis tes références dans le dernier paragraphe, mais tu donnes sacrément envie de lire ce roman !
Gromovar a dit…
Elles sont pour la plupart citées dans le livre. Je n'ai fait que tenter de les expliquer :)
Belle chronique, comme d'habitude.
Ça m'a fait penser au questionnement que développe Levi-Strauss dans Race Et Histoire.
Un peu d'anti-humanisme ne devrait pas faire trop de mal.
Gromovar a dit…
Tu as tout à fait raison.

Mais ne trouves-tu pas que c'est un bien curieux destin que celui de Levi-Strauss, dont les thuriféraires d'aujourd'hui, c'est à dire tout le monde et notamment tout ce que les médias comptent de bien-pensants, oublient toujours qu'il professait un relativisme culturel absolu, alors qu'aujourd'hui précisément le relativisme, c'est le mal.
Anonyme a dit…
Hello. And Bye.
Anonyme a dit…
Hello. And Bye.