Maxime Coulombe est sociologue et professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Laval. Il travaille sur les nouveaux imaginaires contemporains. Dans ce cadre il propose une "Petite philosophie du zombie", publiée aux PUF. On ne doit guère s’ennuyer à l’université Laval !
En un peu plus d’une centaine de pages, Coulombe propose donc de partir à la rencontre du phénomène Zombie, cette mode récente qui met le zombie au centre de maints domaines de la création : cinéma, BD, roman, publicité, etc. Le résultat est aussi rafraichissant qu’enrichissant.
Utilisant abondamment la psychanalyse, la philosophie, et l’histoire de l’art, l’auteur montre comment la figure du zombie peut être utilisée pour décrypter les tabous et les souhaits non-dits de notre culture.
Dans une première partie historique, l’auteur montre que le zombie répond aux craintes et aux croyances de la société qui lui donne naissance. Esclavage et résurrection à Haïti, risque apocalyptique et dégradation accélérée des rapports sociaux dans les années 60, épidémies et contagion aujourd’hui. Le zombie est donc, comme tout image qui subsiste en se transformant à travers les âges, un efficace révélateur d’époque.
Le zombie nous dit aussi nos tabous, nous permet d’en jouer, et surtout d’en rire. Tabou de la mort dans une société qui l’a mise à l’écart, de la dégradation corporelle dans un monde jeuniste obsédé par la beauté, le zombie est assez proche de nous pour nous interpeller, assez différent pour nous inquiéter, tout en autorisant (fiction oblige) la fuite dans le ricanement. Mais le zombie est plus que ça, il est un « dépouillé de conscience », de ce vernis de civilisation que l’Homme pose sur lui, comme Norbert Elias l’a montré, pour garder à distance son animalité. Le zombie se moque des conventions de la civilisation. Il rejoint son animalité et nous la donne à voir. Il nous prouve qu’Hobbes avait raison d’affirmer que l’homme est un loup pour l’homme. Le zombie n’est pas du bios, il est de la zoe. Il est « vivant », mais pas des nôtres. Et pourtant, potentiellement, il est « nous ».
En effet, le zombie n’est pas qu’une menace. Il est aussi une victime, potentiellement nous-mêmes. Car il est aussi l’Homme « brulé » par son épreuve, qui n’a plus qu’instincts et mémoire gestuelle. En cela il nous rappelle les burnouts de notre monde, les victimes de catastrophes insurmontables, de la simple dureté des conditions socio-économiques, ou de la mithridatisation qu’engendre l’excès d’information, comme l’écrivait Coupland dans Génération X.
Le zombie est aussi un monstre. Brisant les limites du corps, le zombie est abject, révélateur de nos refoulements. Les mettant en lumière, il détruit l’illusion sur laquelle est bâtie le réel en remettant le dissimulé en pleine champ. Détruisant les illusions qui fondent la civilisation, il en provoque l’anéantissement. Comme si la réalité n’était qu’une « hallucination consensuelle », comme si elle n’était que la « matrice » de Neuromancien.
De plus, le zombie est un héraut d’apocalypse. Sa venue précède, comme celle des cavaliers, la fin de la réalité connue. Mais le zombie est plus terrifiant qu’une explosion nucléaire ou qu’un catastrophe naturelle car il ne détruit pas les réalisations humaines. Il les vide. De ce fait, la ville, vidée par le zombie, devient incompréhensible, comme nous ne comprenons ce que nos lointains ancêtres pouvaient faire de telle ou telle structure qui leur a survécu. Elle touche alors au « sublime » kantien, ce moment où l’imagination ne peut embrasser ce que les sens constatent. Dans un tel moment, l’Homme est ramené à son extrême petitesse, et un vertige le saisit devant l’ampleur d’un phénomène qu’il ne peut appréhender dans sa totalité naturelle ou historique. Le film de zombie joue le même rôle que la ruine pour les romantiques, offrir un mystère d’où la raison est exclue.
Enfin, le zombie nous permet de voir un de nos rêves secrets se réaliser, sans risque. Il apporte la fin du monde, et satisfait ainsi la pulsion de mort d’une civilisation occidentale vieillie et fatiguée d’elle-même, croulante qu’elle est sous ses contradictions, et sous les diverses menaces qu’elle a engendrées elle-même. Plus qu’un reboot, le zombie c’est la décroissance ultime, c’est la Terre enfin rendue à une Nature que l’Humanité n’empuantirait plus de sa présence, c’est la tentation accomplie de renverser la table pour remettre tous les compteurs à zéro, quelles que puissent en être les conséquences.
Chapeau bas.
Une critique forte néanmoins : Coulombe fait de "The Road" un film de zombie. Non. Sauf dans l'acception très large de l'individu déshumanisé.
Petite philosophie du zombie, Maxime Coulombe
Commentaires
Il faut dire que les zombies sont mes amis...
et en effet La Route, ce sont plutôt des cannibales.
Les réflexions sur la ville sont intéressantes et neuves, par contre. J'y jetterai un coup d'oeil à l'occasion.
Sinon, je me permets de préciser: c'est l'Université Laval, pas l'Université DE Laval. La ville de Laval n'a pas d'Université propre. L'Université Laval se trouve à Québec. Elle tire son nom de François de Montmorency-Laval, alias Monseigneur de Laval, premier évêque de Québec et fondateur du Séminaire de Québec. Le Séminaire est devenu l'Université Laval au courant du XIXe siècle.
La confusion est fréquente. :)
Pour l'université Laval, merci. Je corrige.