Hard Boiled - Miller - Darrow - Stewart

Hard Boiled, édition intégrale Futuropolis. Quelques données factuelles pour commencer : En 1990, Dark Horse publie le premier opus de la saga Hard Boiled de Frank 'Daredevil' Miller, dessiné par Geoff Darrow. En 1991, ils gagnent le Eisner du meilleur duo Scénariste/Artiste. Deux autres tomes suivront, qui complètent l'histoire, traduits en français chez Delcourt. Arrive 2017 et une recolorisation réalisée par Dave Stewart qui donne au comic un ton plus neutre et réaliste (!). En France, après Delcourt dans la version couleurs initiales, c'est Futuropolis qui sort l'Intégrale recolorisée fin 2021. 128 pages grand format sous une couverture cartonnée du meilleur effet. Ouvrons-là. Hard Boiled c'est d'abord un scénario linéaire, simple, dont on devine facilement la conclusion à venir. Ex post, c'est si basique que ce n'est guère tentant (c'est aussi pourquoi je ne dirais rien de l'histoire, pour ne pas spoiler le peu qu'il y a à spoiler...

Dans l'abime du temps


"Tau Zero" est un roman Hard-SF de Poul Anderson, versatile auteur américain dont j’avais apprécié en son temps le « Three Hearts and Three Lions ».

Au XXIIème siècle, dans un monde en paix qui se tourne vers son avenir spatial, le Leonora Christina, vaisseau mu par un propulseur Bussard, quitte la Terre avec son équipage de 50 membres (navigateurs, techniciens, scientifiques, et même un chef de la sécurité) pour le système de Beta Virginis, distant de 32 années-lumière à fins d’exploration et, si possible, de colonisation. Un voyage de cinq ans est prévu ; cinq ans pour l’équipage mais presque cinquante ans pour la Terre et le reste de l’Univers. En effet, en se déplaçant à des vitesses relativistes, le Leonora Christina contracte le temps pour lui-même en même temps que sa masse augmente (tout ceci est fort bien expliqué dans le corps du roman d’abord puis dans la très pédagogique postface de Roland Lehoucq). Mais au cours du voyage, le vaisseau subit une collision qui endommage son système de décélération et le bloque, de fait, en accélération permanente. Le Leonora Christina va de plus en plus vite objectivement, sa vitesse devenant asymptotique de celle de la lumière, mais surtout par rapport au reste de l’Univers, jusqu’à des rapports qui deviennent vertigineux. Que faire ? Quelle solution trouver ? Comment survivre sain d’esprit à une stase temporelle qui ne dit pas son nom ? C’est le célèbre paradoxe des jumeaux qu’Anderson va mettre en scène d’une manière jamais vue jusqu’alors.

Dans la préface, Jean Daniel Breque, traducteur du roman, explique au lecteur que, le roman ayant 42 ans, il fait partie de ces « futurs d’antan » dans lesquels une certaine primitivité technologique peut gêner. A mon sens, ce qui peut attirer l’œil ici est moins le niveau de certaines technologies que l’état des rapports hommes/femmes. Dans "Tau Zero" les femmes se posent en récipiendaires volontaires et enthousiastes d’une domination masculine qui va de soi, et certains dialogues intimes rappellent furieusement OSS 117. Mais il ne faut jamais lire un livre à travers le filtre de son idéologie (trop l’oublient trop souvent), ni regarder le passé avec les lunettes du présent, sinon comment pourrait-on accepter que Céline ait fait d’un massacre une bagatelle, que Baudelaire ait passé une nuit près d’une affreuse juive, ou que Lovecraft ait vu l’horreur à Red Hook ?

Ceci dit, il faut encore préciser que "Tau Zero" n’est pas exempt de défauts. La plupart des personnages n’y sont que des silhouettes (le côté archétypal de certains étant assumé dans la narration sur un mode fonctionnaliste), les interactions sociales conflictuelles s’y résolvent souvent trop facilement et sans l’émergence de quoi que ce soit qui ressemble à une communauté politique, les scènes se succèdent souvent sans solution de continuité à tel point qu’on relit pour savoir à quel moment on a changé de lieu ou de personnages, certains passages didactiques rompent un peu la narration car ils sont dans le corps du récit (le premier tiers étant le moins littéraire ce point de vue). On pourra s’étonner aussi du rôle de prostituée sacrée joué par la commandante en second et de l’effet « magique » de ses interventions sexuelles, même si mes réflexions ultérieures peuvent l’expliquer.

Sur une problématique proche, le Spin de RC Wilson met bien plus d’humanité et de littérature dans son récit.
Mais, "Tau Zero" est néanmoins un roman captivant, et plus que cela.

Il y a quelque chose d’époustouflant, de terrifiant dans cette fuite incontrôlée vers la fin des temps. Alors que le vaisseau va toujours plus loin et toujours plus vite, alors que, hors de celui-ci, les contemporains de l’équipage disparaissent puis leurs descendants puis finalement le système solaire, et jusqu’à l’Univers, la sensation d’accélération, de vitesse ultime saisissant le lecteur quand le Leonora Christina traverse comme un chariot de feu les galaxies, devient métaphysiquement effrayante, poussant le rythme de lecture à augmenter avec la vitesse du vaisseau. Le lecteur lit, le ventre noué, dernier observateur d’un artefact que plus rien ni personne ne peut observer. La lecture de "Tau Zero" ne peut être que religieuse.

L’isolation a déjà été traitée (par exemple par Vernor Vinge entre maints autres), même si ce niveau d’isolation a rarement été atteint, mais ce n’est pas l’essentiel ici. C’est la course d’un objet humain au sein d’une entropie sans commune mesure qui impressionne. Métaphore de la vie, épopée devenant solipsiste par la force des choses, cette course amène à un éternel retour qui est un Ragnarök cosmique. On en sort lessivé.

Tau Zero, Poul Anderson

A noter : Greg Egan dans The Clockwork Rocket (pas encore lu) inverse le paradoxe des jumeaux avec des implications sûrement passionnantes.

L'avis du Traqueur Stellaire, d'Efelle, de Lorhkan, de Nebal

Dans le cadre du Summer Star Wars 6.


Commentaires

Guillaume44 a dit…
Je plussoie ta chronique et te remercie du lien :)
A voir... De manière générale je ne suis pas un grand fan de hard science.
Gromovar a dit…
Mieux vaut passer alors
Efelle a dit…
Je plussoie tant l'avis de Gromovar que la remarque à l'intention de Julien.
arutha a dit…
Comme Julien je ne supporte pas la Hard Science qui est trop souvent à mes yeux de la masturbation intellectuelle (même si ici cela semble moins être le cas) et de plus je fais partie de ces gens qui lisent les livres « à travers le filtre de leur idéologie ». Et je n'en éprouve aucune honte. Désolé. Donc j'ai bien compris : je passe mon tour ;o)
Gromovar a dit…
Même pour Baudelaire ? ;)
Lorhkan a dit…
Ce livre est une merveille de grand "sense of wonder" !
Belle chronique, et je te link back ! ;)
arutha a dit…
Si la question est : une phrase comme :« Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive ... » est-elle raciste ? Te gêne-t-elle ? La réponse est non. Tandis qu'à la question Lovecraft est-il raciste et cela te gêne-t-il ? La réponse est oui. Mais je ne vais pas pourrir ton blog avec un débat qui, pourtant, serait sûrement intéressant.
Gromovar a dit…
On n'a jamais trop de commentaires ;)
Guillaume44 a dit…
La littérature est, par définition, une vaste masturbation intellectuelle, un livre pue le foutre de son auteur ;)
Lune a dit…
C'est charmant par ici :p
Thom a dit…
Je dirai même plus, très classe. ^^
Plus qu'une semaine pour finir le tome 12 du trône de fer et j'attaque tau zero.

Mars la verte attendra un peu.
Gromovar a dit…
Toujours :)

Bienvenue au futur Zeronaute.
La Mettrie a dit…
J'aime bien cet auteur et la hard science m'attire beaucoup. Du coup ta chronique me donne vraiment envie.

En ce qui concerne le débat sur les idées des auteurs de certains livres et ce que des gens raisonnables devraient en penser, il me semble que c'est un débat qui agite la sphère des lecteurs depuis très longtemps. Pour être honnête, je pense que Lovecraft demeure un des plus grands écrivains de SF/fantastique, quelles qu'aient été ses idées concernant la politique, tout comme les œuvres de Céline resteront des bijoux de littérature même si l'individu qui les a écrit avait quelque chose de détestable. Et si je ne suis pas spécialement favorable à la tendance héritée du structuralisme à séparer l’œuvre de son auteur, je ne pense pas non plus que l’œuvre d'un individu xénophobe doive être lu comme un manifeste pour la xénophobie.
Gromovar a dit…
Dommage que plus ne pensent pas comme toi.