La principauté d "
Arachnae" est traditionnellement dirigée par une femme. Les suites d’un coup d’Etat manqué y ont porté un homme sur le trône princier, situation presque inédite et très incongrue. Beaucoup y voient à redire, et le prince doit manigancer quotidiennement pour protéger sa vie et sa lignée. Dans le même temps, un mage pervers enlève et massacre de jeunes enfants, et un culte démoniaque tente de s’établir dans la cité. Il y a quelque chose de pourri dans la principauté d’Arachnae. Et c’est à Théodora, trop jeune agent du prince, bretteuse compétente et apprentie assassin, que revient la lourde responsabilité de tenter de démêler l’écheveau des dangers qui planent sur la cité. C'est le Destin qui l'a décidé pour elle.
Au premier abord, "
Arachnae" est un roman de
dark fantasy. Epées, assassins, espions, prostitués, bas-fonds, nuit, mages noirs, etc… Tout y est, certes, mais "
Arachnae" est original à plus d’un titre, et relève une recette connue d’épices inédites. D’abord, la cité qui donne son titre au livre (ville complexe où se côtoient les palais de l’aristocratie, les riches demeures des marchands, et les bas-fonds, venelles, bordels et tripots du Labyrinthe) ressemble à une ville réelle et n’a rien de fantastique en soi. L’ambiance est Renaissance, et on pense à Venise (ville à laquelle Charlotte Bousquet a consacré le roman jeunesse "Noire Lagune"), perle sur un cloaque, brillante et corrompue, loin des villes parfois invraisemblables de la fantasy classique. Il y a dans le roman une certaine dose de fantastique et de magie, mais rien de trop spectaculaire pour être facilement acceptable.
De plus, Arachnae est gouvernée par les femmes, et ce sont elles qui contrôlent le plus de positions de pouvoir. Loin d’être un simple
gimmick féministe, ceci permet de sortir la
dark fantasy de son ambiance parfois trop « corps de garde » telle qu’elle fut initiée par Glen Cook, ou du langage inutilement ordurier d’un Scott Lynch jouant l’affranchi. Ceci permet aussi de développer une approche dans laquelle le relationnel est central, ce qui met en évidence l’anormalité de l’héroïne, froide et incapable d’affect (mais n’est-ce pas la qualité première d’un bon assassin ?), et en fait une figure de proue mortelle et presque inhumaine, tant elle est la seule à ne pas être guidée par ses passions. Elle est même plus dure que le machiavélien prince qu’elle sert, si fin politique pourtant qu’il n’hésite pas à sacrifier ce qu’il a de plus proche.
Ensuite, "
Arachnae" est un roman policier, je dirais même « noir ». Le type d’enquête, les personnages croisés, le malaise existentiel de l’héroïne, apparentent sans aucun doute le roman à cette filiation. Le meurtre, le mystère, l’enquête, je connais peu de meilleure méthode pour capter l’attention du lecteur et l’amener à marcher dans les pas d’un personnage. J’ai lu "
Arachnae" à la vitesse de l’éclair, d’abord parce que je voulais savoir comment les choses allaient se terminer.
Mais il n’y a pas que "Le Grand Sommeil" entre ces pages. Ce roman m’a aussi souvent rappelé Lovecraft. La manière organique et pléthorique en adjectifs par laquelle l’auteur décrit les bas-fonds de la ville, notamment Inferna, évoque la vision et le style du maître de Providence. Le sentiment d’altérité absolue et de monstruosité sont les mêmes. C’est aussi à Baudelaire de la « Charogne » que j’ai pensé parfois.
Parlant de style, celui de Charlotte Bousquet, est travaillé et riche. C’est le plaisir que j’y ai pris dans ses nouvelles,
ici ou
là, qui m’a donné envie d’acheter ce roman. Vocabulaire précis et précieux, y compris dans l’abjection, jolis poèmes de style romantique, dialogues enlevés et réalistes, il n’y a que du bien à dire de l’écriture. L’auteur réussit surtout le tour de force d’offrir un roman d’action rapide, ramassé, et hargneux, servi par un style qui aurait pu sans difficulté le desservir par préciosité ou lourdeur excessive. Pour cela elle se concentre sur son (ses deux) personnage (s) important (s), raconte le reste en
off, et ne décrit que ce qui est nécessaire à l’action.
Haletant, vif comme une truite (les lecteurs comprendront), intelligemment politique, réaliste au point d’en être parfois suffocant, "
Arachnae" suggère beaucoup et montre juste assez. Dans ce roman, Charlotte Bousquet emprunte à plusieurs styles et les mixe comme un bon Dj saurait le faire. Le résultat est très convaincant, et je vais me procurer rapidement Cytheriae (prix Elbakin du meilleur roman français 2010), dont on peut lire le prologue
ici.
Arachnae, Charlotte Bousquet
Commentaires
La fin d'année sera fantasy.
@ Efelle : le genre revient un peu dans ma grâce.
En poche, si possible. Un jour, j'espère...
je plussoie au carré de 42 très cher !
Pour le moment, aucune reprise en poche n'est prévue.
Pour l’indisponibilité, elle devrait être résolue sous peu puisque nos attendions la parution de Matricia (troisième roman dans l'univers des Numinées) pour réimprimer Arachnae.