"
Embassytown" est le dernier roman de China Mieville. Il raconte avec force détails les bouleversements provoqués, dans une ville frontière au bout de l’espace connu, par l’apparition d’une nouveauté radicale.
"
Embassytown" est une ville étrange ; elle ressemble à une colonie sans en être une. Sous administration d’une planète proche s’y côtoient des humains, quelques extros, et la population autochtone qui vit un peu à l’écart. Ces autochtones, nommés Hôtes par les nouveaux arrivants, sont nantis d’un Langage non symbolique qui ne peut exprimer que des choses connues comme existant ou ayant existé, rendant, de ce fait, mensonge et conceptualisation impossibles. De plus, ils parlent avec deux voix simultanées, comme avec deux bouches, ce qui rend leur Langage difficile à apprendre. Et pour couronner le tout, ils ne peuvent non seulement comprendre, mais même identifier comme signifiant, qu’un Langage parlé à deux voix parfaitement synchronisées. Une caste d’Ambassadeurs a donc été créée, clones toujours en contact et parlant ensemble le Langage. Ils sont les seuls à même de se faire comprendre par les Hôtes. Ils sont même les seuls à être considérés comme sentients par ceux-ci. Ils sont donc
ipso facto la seule interface entre autochtones et nouveaux arrivants, le langage monovocal des humains et des extros étant perçu et traité, par les Hôtes, comme du bruit. Dans cette société stable, fondée sur un commerce raisonné entre locaux et « colons », l’arrivée d’un Ambassadeur d’un genre nouveau, porteur des projets secrets de la planète métropole pour ce petit bout de terre perdu dans l’espace, bouleversera l’ordre social, conduira à une guerre civile, et à une transformation radicale des Hôtes.
"
Embassytown" est un roman qui fourmille d’idées. La « colonie » est un lieu profondément, absolument, étranger ; l’imagination de Mieville s’y déploie autant que dans Perdido Street Station. Géographie, technologie, organisation sociale, langage ou Langage, tout est innovant dans ce roman. Même l’hyperespace est décrit d’une manière nouvelle qui le transforme en un terrain concret d’aventures. Mieville développe très intelligemment de nombreux thèmes. On y trouve pêle-mêle des images et des évènements qui illustrent : la langue comme instrument premier de la puissance, l’isolement des comptoirs à la périphérie, les jeux d’alliance et de pouvoir qui se jouent dans les sociétés de petite taille, la rapacité et l’insensibilité des métropoles « coloniales », l’apparition des groupes « comprador », l’effet mortifère des consommations importées, la captation du pouvoir par les experts, le rôle de la conceptualisation dans la pensée, le bouleversement social induit par un changement de paradigme, et j’en oublie sûrement.
Mais "
Embassytown" a été un roman désagréable à lire. D’une part, la lecture de ce roman est ardue du fait d’une préciosité extrême de sa langue, de formes dialoguées parfois étranges, et d’un grand nombre de néologismes. Mieville voulait sans doute que le lecteur réalise l’impact de la langue sur la pensée, mais cette démonstration est un peu trop appuyée à mon sens. D’autre part, le démarrage est très lent. De fait, de présentation en sentences mystérieuse en « je vous dirai plus tard ou je ne savais pas encore », le roman ne démarre vraiment qu'à la moitié de sa pagination. Si je n’avais pas déjà lâché "Perdido Street Station" pour la même raison, je l’aurais sans doute fait avec "
Embassytown". Enfin, la narratrice est tellement générique qu’elle est dans l’incapacité de susciter la moindre empathie. Finalement on est indifférent à ce qui peut lui arriver (alors on imagine l’affection qu’on peut avoir pour les autres personnages), et l’intérêt pour le développement de l’histoire devient purement intellectuel. J’ajouterai deux points mineurs à ce qui m’a gêné. Mieville, en bon marxiste, fait du dévoilement une des clés de la résolution de son affaire ; le pouvoir du dévoilement, il y a longtemps que je n’y crois plus (cf.
La domination masculine), et son efficacité immédiate a un aspect magique un peu ridicule. Quant à l’addiction hystérique des Hôtes à une forme mal prononcée du Langage (on pourrait dire un accent), elle m’a fortement rappelé Jamie Lee Curtis dans
Un poisson nommé Wanda, ce qui a évidemment fait perdre un peu de son côté tragique à la chose.
Au final, c’est un roman que je ne regrette pas d’avoir lu mais que j’hésiterai à conseiller, sauf à un Mievillolatre.
Embassytown, China Mieville
Commentaires
Par contre j'ai entendu pas mal de fans de PSS dire qu'ils avaient trouvé celui-ci bof, donc pas forcément de lien à ce niveau là (même si la patte de Miévile est très reconnaissable c'est vrai).
Je ne sais plus que dire.
"Vivez dangereusement, lisez Embassytown".
Si c'est fait exprès, c'est impressionnant. Mais ça rend la lecture malaisée.
Samuel
Je souhaite bon courage au traducteur en tout cas.
Alors ça, tu me l'enlèves de la bouche :)