Jean-Philippe Jaworski est un auteur français de fantasy. Concepteur de jeux de rôles, collaborateur de Casus Belli (
décidément), auteur de nouvelles et de romans dont la qualité littéraire est la marque de fabrique, Jaworski oscille entre le Vieux Royaume, monde fictif dont il connaît les moindres arcanes, et une fantasy historique plus immédiatement "réaliste", quoique...
Du recueil de nouvelles
Janua Vera, au superbe pavé
Gagner la guerre, en passant par diverses anthologies (
ici,
là,
là, ou
là), et même maintenant le jeu de rôles
Te Deum pour un massacre, je crois avoir lu presque tout ce qu'a écrit le monsieur. Et j'en redemande. C'est donc une grande joie de le recevoir ici aujourd'hui.
Bonjour Jean-Philippe. Il y a longtemps que j’ai envie de t’interroger, et puis… Il y a quelques jours, je maîtrisais une partie de Te Deum pour un massacre, et je me suis dit que je ne devais plus attendre pour interviewer quelqu’un qui écrit aussi bien ses jeux de rôles que ses fictions, à moins que ce ne soit l’inverse.
1)
Un mot sur « Te Deum… » pour commencer. Pourquoi avoir créé un jdr sur le thème des guerres de religion ?
JPJ : Par intérêt personnel, et parce que j’ai découvert que ce cadre historique pouvait captiver des joueurs. Du second XVIe siècle, celui des guerres civiles, on ne connaît généralement que quelques clichés : le massacre de la Saint-Barthélemy, Catherine de Médicis, les mignons, Henri IV et son panache blanc… La complexité de la période et un certain refoulement post-traumatique font par ailleurs que les guerres de religion sont peu connues du grand public. C’est très dommage. La société du XVIe siècle est originale, contrastée, pétulante et brillante. Les querelles religieuses, les intrigues de cour, les campagnes militaires forment un immense terrain de jeu pour des rôlistes, tandis que les personnalités de l’époque brossent une galerie de PNJ picaresques, romanesques ou tragiques. L’époque nous offre aussi un miroir où se reflètent toujours quelques-unes de nos valeurs et certains de nos démons : c’est au XVIe siècle que se forge (dans quelles douleurs !) la notion de tolérance, qu’apparaissent les premiers mouvements révolutionnaires, que s’affrontent les défenseurs d’un État centralisé et des forces décentralisées voire autonomistes, tandis que des modérés font des efforts désespérés pour soustraire le pays à la montée des fanatismes. Jouer au temps des guerres de religion permet d’investir un univers de cape et d’épée, mais aussi de s’interroger sur des problèmes qui demeurent d’actualité.
2)
La documentation historique accompagnant le jeu est impressionnante. Comment s’est partagé le travail entre toi et tes coauteurs ?
JPJ : J’ai écrit tout le texte de la première édition, ainsi que les scénarios du coffret de règles. Dans la deuxième édition, mes coauteurs ont écrit les chapitres sur la justice, les régions de France et les royaumes et empires d’Europe. De plus, ils ont considérablement enrichi la bibliographie. Enfin, à côté du texte, il faut saluer le travail très documenté des illustrateurs de la deuxième édition.
3)
Tu illustres d’extraits littéraires classiques chaque point du jeu, utilisant une méthode qui rappelle le Littré. Est-ce une référence explicite ?
JPJ : C’est avant tout un petit jeu fat. Pratique ludique : ça m’amuse de chercher l’exergue qui collera au chapitre. Et puis affectation un peu pédante, je le concède volontiers. Toutefois, il n’y entre pas que de la vanité. Je cherche à expliciter un rapport intertextuel entre le matériel de jeu (ou la fantasy) et des œuvres littéraires, pour faire sortir l’imaginaire du ghetto dans lequel on l’enferme trop souvent.
Janua Vera est ta première œuvre d’importance publiée. Elle est un choc immédiat. Sept nouvelles, chacune décrivant un lieu et une situation, chacune dans le style adapté au récit. Tant a été écrit dessus, je vais essayer d’être bref et de ne pas revenir sur des choses déjà dites.
1)
Ce qui impressionne d’abord à la lecture de Janua Vera, c’est ta maîtrise du vocabulaire médiéval. Tout vient des jdr ou tu as eu d’autres sources ?
JPJ : Ma maîtrise reste très relative. Mes sources sont diverses : séquelles des cours d’ancien français suivis à la fac, bibliographie personnelle, emprunts prudents à l’Encyclopédie médiévale de Viollet le Duc…
2)
Savais-tu que tu allais faire quelque chose d’autre de Benvenuto Gesufal quand tu as écrit « Mauvaise donne » ?
JPJ : Absolument pas. En fait, je ne savais même pas où allait la nouvelle quand j’ai écrit la première page… (Ce qui est une méthode très douteuse pour écrire une nouvelle : il faut croire que Benvenuto exerce vraiment une mauvaise influence sur tout ce qu’il touche !) C’est lorsque j’ai fait lire les nouvelles de Janua vera à des amis que je me suis mis à envisager de reprendre Benvenuto. À l’époque, je commençais seulement à soumettre le manuscrit aux éditeurs, et je voulais avoir un sujet de roman pour poursuivre dans le même univers au cas où Janua vera serait accepté. Chez mes premiers lecteurs, Suzelle et Benvenuto étaient les deux personnages qui avaient attiré le plus de sympathies. Il était difficile de reprendre Suzelle ; Benvenuto s’est imposé.
3)
« Le conte de Suzelle » est à mon avis la perle du recueil. Comment un rôliste, auteur de fantasy, trouve-t-il l’inspiration pour un texte aussi tendre et triste ?
JPJ : Le conte de Suzelle est à la croisée de trois sources d’inspiration. Tout d’abord, j’ai voulu peindre le personnage auquel on ne s’intéresse jamais, le figurant du personnel de la fantasy, la paysanne anonyme. Deuxièmement, cette démarche m’a mené presque logiquement à m’inspirer de Flaubert et de Maupassant, qui ont peint ces humbles. Enfin, je voulais établir une variation autour d’un vieux sujet folklorique, héritier lui-même de mythes celtiques : le danger que représente la rencontre des « belles gens », des créatures de l’autre côté.
4)
« Le confident » est aussi une grande réussite, dans un genre complètement différent. Peux-tu nous détailler un peu le culte du Désséché, voire, si tu te sens, la cosmogonie du Vieux Royaume ?
JPJ : J’aurais énormément à dire, aussi bien sur le culte du Desséché que sur la cosmogonie du Vieux Royaume. Je vais me concentrer sur la religion pratiquée dans celui-ci, à l’exclusion des territoires voisins, qui pratiquent des formes distinctes de religion.
La religion du Vieux Royaume s’appelle le « cyclothéisme » : il s’agit d’une construction politique, qui visait à stabiliser le royaume de Leomance en créant un calendrier rituel intégrant des cultes dont la cohabitation avait été longtemps difficile. Il y a quatre dieux dans le cyclothéisme : la Déesse Douce, qui est une sorte de Grande Mère, probablement dérivée d’un culte elfique ; le Resplendissant, divinisation solaire de Leodegar, fondateur du royaume ; la Vieille Déesse, objet d’un culte à mystère ; le Desséché, dieu de la mort. La Vieille Déesse et le Desséché ont des domaines contigus ; le Resplendissant, dieu relativement nouveau, a été longtemps perçu comme un faux dieu par les fidèles des autres cultes. Au cours du premier siècle du royaume de Leomance, les tensions religieuses ont généré des troubles. C’est en créant un tétrathéisme, qui assigne une saison, des fêtes et des fonctions sociales à chaque dieu, que Leodegar III le Saint est parvenu à apaiser les conflits. La religion du Vieux Royaume est donc un édifice complexe : cela ressemble à un polythéisme, mais il s’agit plus ou moins d’un enothéisme, c’est-à-dire d’une religion où chacun admet et tolère l’existence d’autres dieux, mais privilégie le culte de son dieu. À cela s’ajoutent des influences étrangères, des survivances régionales. Il reste des traces de polythéisme : Aquilo, le dieu de la mer révéré à Ciudalia, est une divinité archaïque qui n’appartient pas au cyclothéisme mais qui n’a pu être extirpée de la vieille cité maritime.
Le Desséché est un dieu redouté, mais pas malveillant. Il est surtout essentiel dans l’organisation sociale et religieuse du Vieux Royaume. Son culte gère tous les domaines spirituels, funèbres et juridiques ayant trait à la mort. Prières pour les défunts, processions funèbres, inhumations, entretien des nécropoles sont ses attributions les plus évidentes. Les prêtres du culte possèdent aussi des fonctions notariales et judiciaires : ils veillent à l’exécution des testaments et, pour le repos des défunts, enquêtent afin d’obtenir réparation des préjudices que les disparus ont pu subir de leur vivant. Ils possèdent donc une fonction inquisitoriale très redoutée – c’est la raison pour laquelle Benvenuto et les Ouromands, avec leur conscience chargée de crimes, sont dans leurs petits souliers quand ils croisent un gyrovague du culte. Ces fonctions juridiques et judiciaires expliquent le rôle politique que le culte du Desséché a joué au cours de la Guerre des Grands Vassaux : quand la dynastie royale a été décapitée, les archontes, les grands dignitaires du culte du Desséché, sont entrés dans le conflit au nom des intérêts du monarque défunt. Le caractère effrayant de cette intervention est dû à la façon dont ils ont instrumenté la nécromancie pour parvenir à leurs fins : à l’origine rituel pour être à l’écoute des doléances des défunts, la nécromancie a été dévoyée et est devenue une arme pour respecter les dernières volontés du monarque assassiné…
La défaite des archontes à la fin de la guerre a provoqué une réforme du culte, afin d’éviter de reproduire une telle catastrophe. Hélas, cette réforme n’a pas été adoptée par tout le clergé du culte du Desséché, qui est déchiré par un schisme secret…
5)
Question subsidiaire : As-tu une carte du Vieux Royaume ? Ne sais-tu pas que c’est à la carte introductive qu’on reconnaît un ouvrage de fantasy ? ;-)
JPJ : J’ai plusieurs cartes plus ou moins brouillonnes du Vieux Royaume, des cartes assez précises de Bourg-Preux et de Ciudalia. C’est délibérément que j’ai omis les cartes : j’ai voulu placer mon lecteur dans la situation du voyageur médiéval, qui se déplace dans un territoire physique et non dans un espace schématisé. Ce flou géographique correspond à une perception ancienne de l’espace. Après tout, César a envahi la Gaule en étant persuadé que les Pyrénées étaient une chaîne de montagnes nord-sud et que le littoral atlantique faisait face au nord, et il a fallu attendre 1545 pour avoir la première carte de France à peu près exacte… J’ai même été très pervers, en fait. Inspiré par la fascination pour le « Sud » des écrivains argentins, j’ai placé le Vieux Royaume dans un hémisphère austral ! Ainsi, tous nos repères géographiques d’Européens sont bouleversés : Ciudalia est au nord du continent, et plus on descend vers le sud, plus le climat se refroidit.
Gagner la guerre est ton premier roman. C’est encore une réussite. Là aussi, difficile de trouver un questionnement original (l’inconvénient d’arriver après la guerre justement).
1)
Les commentateurs ont vu les cités renaissantes et/ou la république romaine dans Gagner la guerre. Quelle est la version correcte ?
JPJ : Les deux. Le droit romain a influencé très longtemps le gouvernement de grandes cités méditerranéennes. Au XVIIIe siècle, dans le sud de la France, on trouve encore des édiles qui portent les titres de « consuls » et de « capitouls ». La république ciudalienne est donc à l’image des républiques de la Renaissance qui se réclamaient de modèles antiques.
2)
Le monde de « gagner la guerre » est-il une fabulation consciente de notre monde comme certains l’ont écrit ?
JPJ : Tout à fait. La République de Ciudalia est une oligarchie clientéliste. Or nos vieilles démocraties se transforment lentement en oligarchies. Il n’est qu’à voir, par exemple, comment notre système scolaire patine : la panne de « l’ascenseur social » me paraît très inquiétante. La dissolution de la souveraineté populaire et les pressions des lobbies me semblent aussi être des facteurs constitutifs de l’oligarchie. Et ne parlons pas de l’explosion des écarts de rémunérations entre riches et pauvres… J’avais tout cela en tête en écrivant le roman. Par-dessus tout, j’avais des exemples historiques : tôt ou tard, que ce soit à Rome, à la Renaissance ou à l’époque moderne, la plupart des oligarchies ont dérivé et donné naissance à des pouvoirs autoritaires…
3)
Benvenuto est encore un jeune homme. Est-il destiné à devenir un personnage récurrent ?
JPJ : Un jeune homme, c’est très relatif… Il a la trentaine, ce qui lui laisse encore quelques années, mais une espérance de vie tout de même plus incertaine que dans nos sociétés riches et médicalisées. Ceci dit, oui, il réapparaîtra, plus tard, mais pas forcément en tant que personnage principal.
4)
Benvenuto parle à la première personne, sur un ton ironique et désabusé. Est-ce une astuce pour le rendre sympathique au lecteur ?
Entre autres, oui. C’est bien sûr un piège narratif, pour rendre attachant un truand de la pire espèce. Mais il y a aussi une autre raison à son ironie et à son humour : le cynisme et la dérision sont des défenses contre les scrupules, les remords et les traumatismes.
5)
Les puissants de Ciudala sont de parfaits machiavéliens. Crois-tu qu’une oligarchie ne puisse être vertueuse ?
JPJ : Ça, c’est de la problématique ! :p
L’oligarchie n’est pas le pire des régimes possibles : elle me semble beaucoup moins dangereuse que les totalitarismes. Toutefois, c’est quand même un régime bâtard qui présente de nombreux vices structurels. La concentration du pouvoir entre les mains d’une aristocratie creuse les inégalités et accroît les tensions entre le peuple et l’élite sociale, parce que le pouvoir va au pouvoir et l’argent à l’argent ; cela sclérose aussi le gouvernement à mesure que le temps passe et que les oligarques confondent compétences et privilèges.(C’est du reste valable pour tous les systèmes dynastiques.) Paradoxalement, une aristocratie qui veut perdurer doit se renouveler : c’est ce qui s’est passé à Rome comme en France. Mais il en résulte des divisions internes à l’aristocratie, entre patriciens et hommes nouveaux. L’oligarchie fait donc le nid de l’agitation sociale comme des conflits privés entre clientèles, dont l’État fait toujours les frais. Historiquement, l’oligarchie me semble condamnée à basculer soit dans la révolution, soit dans la tyrannie, voire à osciller entre ces deux pôles. L’évolution de la république florentine en est un excellent exemple. La république romaine a connu une pérennité remarquable : mais c’est parce que Rome a trouvé une solution à ses querelles intestines dans une course en avant impérialiste. Du reste, après que César a pillé la Gaule pour financer son parti, la république romaine a été déchirée par des guerres civiles atroces, qui ont ensanglanté tout l’empire, et qui ne se sont résolues que par l’institution d’une tyrannie masquée. Non, vraiment, l’oligarchie me paraît très suspecte.
6)
Je crois que les lecteurs aimeraient de nouvelles visites dans le Vieux Royaume. As-tu dans l’idée de leur faire visiter d’autres civilisations de ce monde ?
JPJ : Quand j’y retournerai, je consacrerai un roman au duché de Bromael.
7)
Pourquoi avoir choisi de donner une place plus importante aux elfes dans le roman que dans les nouvelles ? Y a-t-il dans le royaume d’autres créatures non humaines qui restent à découvrir pour les lecteurs ?
JPJ : Le Vieux Royaume relève d’une fantasy canonique, parfaitement assumée. Donc, oui, il y a d’autres ethnies non humaines. Chez les hommes aussi, il y a encore des civilisations à peine effleurées – les Bœgars, par exemple, qui sont des nomades d’inspiration sarmato-scythiques.
8)
Les personnages de Gagner la guerre étaient-ils des npc quand tu jouais dans le Vieux Royaume ?
JPJ : Quelques-uns, essentiellement des personnages preux-bourgeois, puisque c’est surtout dans la Marche Franche que mes joueurs ont évolué.Mes joueurs connaissent de réputation Melanchter sans l’avoir rencontré ; ils ont croisé Gaidéris, et ils s’efforcent généralement d’échapper aux charivaris de la Compagnie Folle, sauf une joueuse qui est persuadée que son personnage est la fille naturelle d’Eirin.
Régulièrement, je tombe sur une nouvelle que tu as écrite, et, comme l’écrivait Lautréamont, « C'est un miracle qui se renouvelle chaque jour et qui n'en est pas moins miraculeux ». Une question par nouvelle lue si tu le veux bien.
1)
Montefellone est un superbe récit qui m’a évoqué « La chair et le sang ». Les honorables, comme Isembard d’Arches ou Ned Stark, sont-ils toujours les dindons de la farce ?
JPJ : Loin de moi l’idée de soutenir une pareille idée. Montefellone était sous-tendu par diverses intentions. Je voulais montrer une guerre de siège, j’avais envie de construire une sorte de tragédie féodale, et je souhaitais aussi explorer l’âme d’Isembard d’Arches, personnage capital de la Guerre des Grands Vassaux. Dans la ligne historique que j’ai construite, Isembard d’Arches fait partie des féodaux qui s’affronteront pour le trône vacant, avant finalement de tomber en héros pour arrêter l’offensive du Roi-idiot et des archontes. Je voulais mettre en scène la catastrophe personnelle qui l’amènerait aussi bien à la félonie qu’au sacrifice.
2)
Kenningar est une histoire étrange et inquiétante de double et de Némésis. Peux-tu nous dire ce qui l’a inspirée ?
JPJ : Mon goût pour le fantastique du XIXe siècle et celui de Borges, et ma fascination pour la littérature norroise. Tout est là, surtout sachant que Borges était lui-même féru de littératures médiévales germaniques. C’est un hommage à ces différentes sources. Egill Skallagrimson et Taliesin sont des personnages semi-historiques dont j’ai gauchi la légende pour provoquer leur rencontre, en suivant une logique borgesienne.
3)
Préquelle nous raconte les prémisses d’un grand homme historique. C’est ton premier récit clairement historique, que tu teintes de merveilleux. Est-ce un genre que tu voudrais poursuivre ?
JPJ : Tout à fait. Le roman que j’écris en ce moment est fondé sur le même principe, même s’il se déroule dans d’autres contrées et à une période plus ancienne.
4)
Désolation est un texte bluffant d’originalité. Où as-tu trouvé l’idée de renverser le stéréotype et de transformer les braves types traditionnels en salauds ? (une petite deuxième : l’Histoire est-elle toujours écrite par les vainqueurs ?).
JPJ : Là encore, il s’agit d’un hommage croisé à Tolkien et à la littérature médiévale. Je pense qu’il est inutile de développer le côté tolkienien ; mais il convient de rappeler que les nains, chez Tolkien, ne sont pas toujours des braves gens. Dans la littérature médiévale, les nains sont des personnages troubles. Certains, comme le roi Bilis ou le roi Obéron, sont des personnages très positifs ; d’autres, comme le charretier du Chevalier de la Charrette ou Frocin dans Le Roman de Tristan sont des félons très dépréciés. D’après Claude Lecouteux, cette ambiguïté du nain médiéval vient de sa christianisation : ces personnages sont souvent des dieux ou des héros païens, qui ont été réduits ou diabolisés quand les récits archaïques ont été transposés par les romanciers médiévaux. J’ai voulu m’inscrire dans cette tradition qui fait du nain un personnage équivoque.
(Et pour répondre à la petite deuxième : non, l’Histoire n’est pas toujours écrite par les vainqueurs. On en a l’exemple avec l’épopée napoléonienne… Ceci dit,l’Histoire reste très souvent écrite par les vainqueurs…)
Je te remercie d’avoir pris le temps de répondre (c’est incontestablement plus long et pénible par mail). Les lecteurs et moi sommes preneurs de toute information sur tes projets littéraires à venir. Et, en te souhaitant une bonne rentrée, je ne peux résister à cette question : « As-tu déjà fait étudier un de tes textes à tes élèves ? ».
JPJ : Je me refuse à faire étudier ce que j’écris à mes élèves. Par éthique. D’une part, en tant qu’auteur, si je peux éclairer mon public sur mes intentions, je ne puis émettre une analyse objective sur le texte. Or mon rôle d’enseignant étant de développer l’esprit critique des élèves, je ne veux pas leur donner l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. D’autre part, les relations qu’un écrivain entretient avec son public sont différentes de celles qu’un professeur entretient avec ses élèves. Il serait très discutable de transformer un cours en article publicitaire…
Merci pour cette longue tribune !
Commentaires
Juste un point concernant les liens entre "Gagner la guerre" et notre époque. Il me semble que sous cet angle il manque dans "Gagner la guerre" un lien depuis démocratie originelle, montrant son effacement au profit de l'oligarchie, le populo étant relégué au second plan en pratique (même si quand on a quelques connaissances e l'époque on pense à lui). C'est très très vaguement esquissé, et complètement éclipsé dans le récit par la mécanique de renforcement des pouvoirs du Podestat.
Quant à "Les lecteurs et moi sommes preneurs de toute information sur tes projets littéraires à venir.", je plussoie !
Oui probablement, ou alors avoir un parti populiste qui y fasse référence, mais rien ne dit que le résultat aurait été meilleur pour autant.
C'est juste que j'ai un peu l'impression que l'auteur a pris cela (le pouvoir à l'origine populaire est accaparé par une oligarchie) pour un acquis car c'est pour lui évident, sans le faire transparaître dans son livre. Cela n'enlève rien à la qualité de l’œuvre ceci dit car le livre fonctionne très bien sans, comme cliché instantané d'une période.
Tout à fait d'accord.